La fairness tax, enfin (quelques) précisions

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15 juin 2014

Depuis l'exercice d'imposition 2014, les "grandes" sociétés sont soumises à une nouvelle cotisation à l'impôt des sociétés, dénommée la "fairness tax". Dès l'introduction de ce nouvel impôt, toute une série de questions ont surgi quant à son application concrète. L'administration a tenté de fournir plus de clarté par le biais d'une circulaire récemment publiée.

Fairness tax : de quoi s'agit-il?

La fairness tax est une cotisation distincte à l'impôt des sociétés à un taux de 5,15% (en ce compris la contribution spéciale de crise de 3%) qui s'applique sur des distributions de dividendes provenant (entièrement ou partiellement) de bénéfices imposables qui n'ont pas effectivement subi l'impôt des sociétés au taux normalement applicable, en raison de l'application des intérêts notionnels – également dénommée la déduction pour capital à risque (DCR) – et/ou les pertes fiscales reportées.

En bref, la fairness tax qui sera ainsi due, se calcule suivant la formule reprise ci-dessous:

L'exemple suivant illustre l'application de la fairness tax. Prenons pour hypothèse de départ le résultat fiscal d'une société, composé comme suit :

  • Dividendes distribués : 600
  • Dividendes prélevés sur des réserves taxées antérieurement, et au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2014 : 0
  • Revenus définitivement taxés : 300
  • Intérêts notionnels ou DCR : 800
  • Déduction de pertes fiscales reportées : 50
  • Base imposable à l'issue de la première opération : 1.600
  • Résultat imposable final effectivement soumis à l'impôt des sociétés : 1.600 – 300 – 800 – 50 = 450

Calcul de la fairness tax
(600 - 450 – 0) * ((800 + 50)/1.600) * 5,15%
=     150           *          53,12%        * 5,15% = 4,10

L'article 219ter CIR92 sur la fairness tax introduit par la loi du 30 juillet 2013 nécessitait toutefois  plus de précisions. Par la publication d'une circulaire du 3 avril 2014, l'administration s'est livrée à une première tentative de clarification. Les points suivants seront traités en de plus amples détails :

  • la portée concrète de la mesure transitoire,
  • l'application de la fairness tax en cas de plus-values sur actions 'exonérées' , et
  • les éléments imputables sur la fairness tax.


L'application de la disposition transitoire

Afin d'éviter l'application avec effet rétroactif de la fairness tax, une mesure transitoire dispose que les réserves taxées constituées avant son entrée en vigueur peuvent être déduites des dividendes bruts distribués (les "bonnes" réserves). Ladite mesure fut toutefois rédigée de façon maladroite, de sorte qu'il n'était pas évident de déterminer quelles étaient les bonnes réserves. Des difficultés d'interprétation surgirent concernant (i) l'expression "les dividendes distribués qui [sont] prélevés sur [les] réserves taxées antérieurement, et au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2014" (qui échappent à la fairness tax), et (ii) la règle selon laquelle les dividendes distribués afférents à l'exercice d'imposition 2014 "ne peuvent jamais être pris en considération comme réserves taxées de ce même exercice d'imposition".

La question portait sur le fait de savoir si les réserves qui ont été constituées au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2014 pouvaient être considérées comme des "bonnes" réserves, ou bien si seules les réserves qui avaient été constituées jusqu'à l'exercice d'imposition 2013 (inclus) devaient être considérées comme 'bonnes'. De plus, la mesure transitoire paraissait d'autant plus ambigüe car, bien que l'impôt s'applique à partir de l'exercice d'imposition 2014 (Ex.I. 2014), elle prévoyait néanmoins qu'une distribution de dividendes prélevés sur des réserves taxées au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2014 ne serait pas soumise à la fairness tax.

Il ressort de la circulaire administrative qu'il convient de lire les deux expressions conjointement. Selon l'administration, seules les distributions de dividendes afférentes à l'Ex.I. 2014, qui sont prélevées sur des réserves constituées et taxées au plus tard lors de l'Ex.I. 2013, sont exclues de la fairness tax. Les réserves taxées et constituées au cours de de l'Ex.I. 2014 ne pourront être distribuées en exonération de la fairness tax qu'à partir de l'Ex.I. 2015. Ceci semble logique puisque ce ne sera qu'à ce moment-là qu'elles qualifieront de réserves dites "taxées". En d'autres termes, les réserves constituées au cours de l'Ex.I. 2014 ('mauvaises' réserves) qui sont ensuite distribuées sous forme de dividendes lors de l'Ex.I. 2015, qualifieront toutefois de 'bonnes' réserves à ce moment-là, et pourront ainsi échapper à la fairness tax

L'administration fournit également plus de précisions au sujet de l'application de la fairness tax aux dividendes intercalaires et aux acomptes sur dividendes distribués afférents à l'Ex.I. 2014.

Les dividendes intercalaires sont ceux qui sont prélevés sur des bénéfices distribuables tels qu'ils ressortent des derniers comptes annuels clôturés, suite à une décision de l'assemblée générale des actionnaires. A ce sujet, la circulaire précise que les dividendes intercalaires afférents à l'Ex.I. 2014 qui proviennent de réserves taxées antérieurement et au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2013, ne seront pas soumis à la fairness tax. L'administration suit ainsi le régime juridique applicable aux dividendes intercalaires, puisqu'il s'agit obligatoirement de dividendes à prélever sur les bénéfices d'un exercice antérieur.

Par contre, les acomptes sur dividendes sont distribués en vertu d'une décision du conseil d'administration, et sont prélevés que sur le bénéfice de l'exercice comptable en cours, le cas échéant majoré du bénéfice reporté des exercices antérieurs (qui n'a pas été mis en réserve). La circulaire précise qu'un acompte sur dividendes afférent à l'Ex.I. 2014 ne sera pas soumis à la fairness tax, dans la mesure où l'acompte précité est prélevé sur du bénéfice reporté, antérieurement taxé. Dans la mesure où l'acompte précité est prélevé sur du bénéfice de l'exercice comptable en cours, lié à l'Ex.I. 2014, la fairness tax sera due.

Vu ce qui précède, et  en cas de distributions de dividendes afférents à l'Ex.I. 2014 (par exemple lors de l'Ex.C. qui se clôture le 31 décembre 2013), et à supposer que la société ait le choix de prélever lesdits dividendes sur des réserves disponibles (ou sur du bénéfice reporté), ou  sur du bénéfice de l'Ex.C. en cours, il sera important – en pratique – de clairement préciser dans les comptes annuels que les dividendes sont issus de réserves disponibles, afin d'échapper à la fairness tax. Le bénéfice de l'Ex.C. en cours pourra dès lors être mis en réserve et être distribué l'exercice d'après, sans fairness tax.

Lors de la détermination de la base imposable pour la fairness tax, la loi dispose que les prélèvements sur des réserves taxées antérieurement (bonnes réserves) soient effectués prioritairement sur les dernières réserves constituées (méthode LIFO). Ceci signifie que les distributions de dividendes devront d'abord être imputées sur les réserves constituées en dernier lieu (qui peuvent être 'mauvaises' si constituées après l'Ex.I. 2014) et que ce ne sera que par la suite que le solde pourra être imputé sur d'éventuelles bonnes réserves. Une société qui dispose de bonnes réserves aura donc tout intérêt de suivre et de documenter tant l'historique, que la destination de ces réserves afin de pouvoir les distribuer à l'avenir, sans fairness tax.

Le tableau ci-dessous illustre les explications qui précèdent. Nous sommes partis du principe que les Ex.C. coïncident avec des années civiles et que les dividendes intercalaires distribués lors d'une année, sont afférents à l'Ex.C. antérieur, et dont les comptes annuels ont déjà été approuvés. Ledit tableau est le résultat de notre interprétation de la loi et de la circulaire, mais il n'est pas à exclure que l'administration en retienne une autre :

  1. La distribution d'un dividende intercalaire n'est pas soumise à la fairness tax.  
  2. La distribution d'un acompte sur dividende. Dans la mesure où l'acompte sera prélevé sur le bénéfice reporté des exercices comptables précédents il ne sera pas soumis à la fairness tax. La partie prélevée sur le bénéfice de l'Ex.C. en cours sera soumise à la fairness tax.
  3. La distribution d'un dividende intercalaire n'est pas soumise à la fairness tax.
  4. La distribution d'un acompte sur dividende. La partie portant sur le bénéfice de l'Ex.C. en cours est soumise à la fairness tax. Dans la mesure où l'acompte porte sur du bénéfice reporté (tenant compte de la méthode LIFO) il ne sera pas soumis à la fairness tax.
  5. La distribution d'un dividende intercalaire. La partie provenant du bénéfice réservé ou reporté de l'Ex.I. 2015 sera soumise à la fairness tax. Dans la mesure où le dividende portera sur du bénéfice réservé ou reporté de l'Ex.I. 2014 ou des années antérieures (tenant compte de la méthode LIFO), il ne sera pas soumis à la fairness tax.
  6. La distribution d'un acompte sur dividende. La partie portant sur le bénéfice de l'Ex.C. en cours et le bénéfice reporté de l'Ex.I. 2015 sera soumis à la fairness tax. Dans la mesure où il portera sur du bénéfice reporté de l'Ex.I. 2014 ou des années antérieures (tenant compte de la méthode LIFO), il ne sera pas soumis à la fairness tax. 


Fairness tax et les plus-values sur actions des "grandes" sociétés

Une autre précision importante apportée par la circulaire concerne l'application de la fairness tax aux plus-values sur actions exonérées. Techniquement, la réalisation de cette exonération dans la déclaration fiscale consiste à exclure ces plus-values de la base imposable à l'impôt de sociétés (par le biais d'une  majoration de la situation de début des réserves).

Depuis l'exercice d'imposition 2014, les plus-values sur actions exonérées  – du moins pour les "grandes" sociétés – sont dorénavant imposables à un taux distinct de 0,412%. Afin de calculer la fairness tax, cette technique dans la déclaration (exclusion de la base imposable) aura toutefois un effet doublement négatif. D'une part, le bénéfice distribué non imposé augmentera (première étape dans l'application de la formule), et d'autre part, le dénominateur de la formule (deuxième étape) sera réduit. Dans des cas extrêmes cela résulterait en une soumission de l'intégralité des plus-values sur actions à la fairness tax de 5,15%, ce qui n'était toutefois pas le but.

La circulaire précise désormais que les plus-values soumises à la cotisation distincte de 0,412% ne peuvent pas être exclues de la base imposable obtenue après la première opération dans la déclaration fiscale. Par conséquent, ces plus-values seront encore présentes dans la base imposable, et donc également dans le dénominateur précité, servant à calculer la fairness tax.

Bien que positive, la précision apportée par la circulaire et son traitement technique dans la déclaration cause – à notre sens – un autre effet négatif. Lorsqu'une société est en perte et qu'elle ne pourra pas exclure cette plus-value (soumise à une cotisation distincte) de sa base imposable (en conséquence de quoi sa perte fiscale diminuera), cette société subira ultérieurement et effectivement l'impôt des sociétés sur cette plus-value.

Nous illustrons ceci à l'aide de l'exemple suivant : imaginons qu'une société ait subi une perte opérationnelle de 3.000, et qu'elle ait réalisé une plus-value sur actions exonérée de 1.000, en conséquence de quoi son résultat comptable sera de -2.000. Auparavant, la société aurait eu un résultat fiscal de -3.000, perte fiscale qui aurait pu être reportée sur les exercices suivants. Sur base de la circulaire, la société ne bénéficiera toutefois que d'une perte fiscale reportée de -2.000. Dès lors, cette interprétation administrative ne nous parait erronée.


Eléments imputables

Enfin, la circulaire confirme également que l'excédent éventuel du précompte mobilier et des versements anticipés peuvent être imputés sur la fairness tax. Ceci vaut également pour la quotité forfaitaire d'impôt étranger, le précompte mobilier fictif ainsi que pour le crédit d'impôt pour recherche et développement.


Conclusion

Dans la pratique, l'introduction de la fairness tax a causé toute une série de problèmes d'application. Cette première circulaire résout certes les problèmes les plus urgents, mais elle cause, ce faisant, d'autres entorses au régime applicable aux plus-values sur actions "exonérées" réalisées par des "grandes" sociétés. En outre, d'autres questions demeurent sans réponse à ce jour. Il existe notamment des zones d'ombre quant à l'application de la fairness tax aux établissements belges des sociétés étrangères, aux bénéfices d'établissements étrangers de sociétés belges, mais également sur la compatibilité de la fairness tax avec les conventions préventives de double imposition, avec la directive Mère-filiale ainsi qu'avec le principe constitutionnel d'égalité. Il est à espérer qu'une prochaine circulaire ou loi réparatrice réponde à ces questions.