La TVA est une taxe formelle. Une grande importance est attachée au respect des conditions légales et à la réalisation des formalités prescrites. Là où la législation sur la TVA impose essentiellement des obligations aux assujettis, elle accorde également un droit fondamental, à savoir le droit à déduction de la TVA en amont. Mais ce droit aussi est caractérisé par un formalisme, à savoir la nécessité de disposer d'une facture conforme. Tandis que l'administration belge refuse généralement le droit à déduction si la facture n'est pas conforme, la Cour de Justice de l'Union Européenne a une approche plus pragmatique. Cette jurisprudence a amené l'administration de la TVA à revoir sa position.
Contexte
Chaque assujetti à la TVA a en principe le droit de déduire la TVA en amont sur les biens et services qui lui sont fournis, pour autant que les conditions matérielles et formelles de l'article 45 CTVA soient respectées. Suivant la condition matérielle, les biens et services fournis doivent être utilisés dans le cadre d'opérations donnant droit à déduction (principe de destination). Suivant les conditions formelles, il est requis que l'assujetti, exerçant son droit à déduction, dispose d'une facture régulière, c'est-à-dire une facture comportant toutes les mentions obligatoires prévues à l'article 5 AR n° 1 (telles que par exemple la date de délivrance de la facture, la date de livraison, le numéro TVA du fournisseur et du client).
Tandis que le Ministre de Finances préconise une certaine souplesse en la matière, il apparaît dans la pratique que certains contrôleurs adoptent une position très formaliste en refusant tout droit à déduction dans le cas où ils constatent qu'il manque, dans la facture, une ou plusieurs des mentions de l'AR n° 1 précité.
Jurisprudence de la Cour de Justice
Une telle approche formaliste est en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de Justice qui, sur base du principe fondamental de la neutralité, préconise une approche plus pragmatique (CJUE 15 septembre 2016, C-518/14, Senatex GmbH; CJUE 15 septembre 2016, C-516/14, Barlis; CJUE 1 mars 2012, C-280/10, Trawertyn). Selon la Cour, le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de la TVA en amont soit accordée si les conditions de fond sont satisfaites, même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis. La Cour précise encore que les Etats-membres sont compétents pour prévoir des sanctions en cas de non-respect des conditions formelles relatives à l'exercice du droit de déduction de la TVA. Cependant, cette sanction ne peut pas consister en le simple rejet du droit de déduction de la TVA et doit nécessairement être proportionnelle à la gravité de l'infraction.
Nouvelle circulaire 2017/C/64
Sous l'effet de la jurisprudence de la Cour de Justice, l'administration de la TVA belge a, par sa Circulaire 2017/C/64 du 12 octobre 2017, décidé de revoir sa position en la matière.
Désormais, lorsque la facture présentée par l'assujetti est irrégulière et/ou incomplète, l'administration de la TVA ne rejette plus automatiquement le droit à déduction lorsqu'il apparaît sur la base d'une facture rectifiée et/ou en combinaison avec des pièces justificatives complémentaires qui, indubitablement, se rapportent à la facture (tels que par exemple les contrats, les bons de commandes, les offres ou la correspondance) qu'il est satisfait aux conditions de fond pour le droit à déduction. Cette approche substance-over-form ne s'applique bien évidemment que pour autant que l'assujetti ne se soit pas rendu coupable de fraude ou de pratique abusive. De surcroît, il est nécessaire que les factures rectifiées et/ou les pièces justificatives complémentaires soient communiquées à l'administration en temps utile, c'est-à-dire avant la fin du contrôle fiscal.
En conséquence, les assujettis à la TVA ne risquent plus le rejet du droit à déduction lors de la moindre faute ou omission sur la facture. En revanche, il sera dorénavant accordé plus d'importance au respect des conditions de fond. Ainsi, les assujettis auront l'opportunité (au cours d'un contrôle fiscal) de demander des pièces rectificatives auprès de leurs fournisseurs et/ou de recueillir des pièces justificatives afin de justifier quand même le droit à déduction.
Questions ouvertes
Bien que cette clarification administrative soit la bienvenue, il reste encore quelques questions en suspens.
Ainsi, l'administration de la TVA exige dans sa circulaire que les factures rectifiées et/ou les pièces justificatives complémentaires soient communiquées à l'administration en temps utile, c'est-à-dire « avant la fin du contrôle fiscal ». Etant donné que la procédure administrative en matière de TVA n'est pas encadrée de manière légale, le moment précis auquel prend fin le contrôle fiscal est incertain. A notre avis, l'administration de la TVA a probablement voulu viser par-là, le décernement de la contrainte (ce qui clôt en principe la procédure administrative, étant entendu que l'assujetti ne peut par la suite contester les prétentions de l'administration que par la voie judiciaire).
De plus, la question se pose de savoir si, et si oui, quelle sanction peut être imposée par l'administration de la TVA lorsque le droit de déduction a été initialement exercé sur base d'une facture irrégulière. La nouvelle circulaire ne se penche pas sur cette question.
Si l'assujetti redresse l'irrégularité spontanément et avant tout contrôle, il semble logique qu'aucune sanction ne puisse être imposée. En revanche, si la rectification est effectuée durant le contrôle ou si des pièces justificatives complémentaires, justifiant le droit de déduction exercé, sont apportées dans ce cadre, la situation pourrait être différente. A la lumière de la jurisprudence européenne notamment, qui prévoit qu'une sanction peut être imposée mais que celle-ci doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, il semble peu probable qu'une infraction purement formelle soit sanctionnée par une amende administrative proportionnelle. En pareil cas, seule une amende administrative non-proportionnelle (limitée) pourrait être imposée. Dans un arrêt récent, la Cour d'appel d'Anvers semble partager ce point de vue.