La proposition de directive concernant le redressement et la résolution des défaillances bancaires ("BRRD") impose la création d'une priorité en faveur des déposants

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15 mars 2014

Le 17 septembre 2007, un bank run (panique bancaire) a eu lieu aux guichets de l'établissement de crédit britannique Northern Rock. Les files d'attente se voient encore sur YouTube. Un phénomène similaire s'est reproduit en mars 2013 lorsqu'il est apparu que de nombreuses banques cypriotes étaient dans une situation désespérée et que l'Europe n'allait pas procéder à un sauvetage sans contribution interne par les créanciers de la banque. Mieux protéger les déposants pour éviter une telle panique tout en liquidant s'il le faut un établissement défaillant, tel est l'un des mécanismes que l'Europe veut mettre en place avec la BRRD.

Introduction

Pour empêcher la panique bancaire, les autorités européennes tentent d'identifier les causes des crises financières récentes et d'empêcher qu'elles se reproduisent. Outre les questions de gouvernance, de fonds propres et de séparation des activités "spéculatives", elles imaginent des mécanismes afin de réduire ou de supprimer la garantie implicite de l'état dont disposent en fait les plus importants établissements de crédit. Cette garantie résulte du fait que l'état perdrait plus à laisser déclarer en faillite un établissement trop gros, trop interconnecté ou trop complexe parce que cette faillite risque de provoquer le blocage de l'ensemble du système économique, dont la fluidité est assurée par le système de paiement et de crédit contrôlé par de tels établissements.

L'une des idées retenues est d'augmenter la protection, dans le patrimoine des établissements de crédit, des dépôts de la myriade de personnes physiques et de petites et moyennes entreprises. L'idée d'une "priorité" en faveur de ces déposants a été adoptée dans le cadre de la proposition de directive européenne établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d'établissements de crédit et d'entreprises d'investissement (ci-après la "BRRD") qui a fait l'objet d'un accord entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen fin 2013 et dont l'adoption finale est prévue pour mi-avril 2014 (document 2012/0150 (COD)). Cette idée avait été évoquée dans le rapport final de la BNB de juillet 2013 relatif aux "réformes bancaires structurelles en Belgique" (voir Eubelius Spotlights de septembre 2013).

Cadre de la BRRD

D'une part, tout établissement de crédit ou entreprise d'investissement (ci-après un "établissement") devra disposer à tout moment d'un "plan de redressement" (art. 5 à 8bis) qui exposera les moyens qu'il mettra en œuvre pour redresser sa situation en cas de détérioration significative de sa position financière.

D'autre part, des "autorités de résolution" élaboreront des "plans de résolution" destinés à résoudre l'éventuelle défaillance d'un établissement. Ces plans identifieront les obstacles à la "résolvabilité" (art. 9) et il sera possible d'imposer à un établissement de réduire ou supprimer de tels obstacles (art. 14 et 15). Un établissement est difficilement "résolvable" si sa liquidation risque d'avoir un effet négatif important sur le système financier (voir art. 13 et 13bis).

La proposition de directive BRR impose un ensemble harmonisé d'instruments pour résoudre la défaillance d'un établissement. Ces instruments ont pour objectif 

  • "d'assurer la continuité des fonctions critiques" de l'établissement; 
  • "d'éviter les effets négatifs sérieux sur la stabilité financière, notamment prévenir la contagion et maintenir la discipline de marché"; 
  • "de protéger les ressources de l'état par une réduction maximale du recours aux aides financières exceptionnelles des pouvoirs publics"; et 
  • "de protéger les déposants couverts par la directive 94/19/CE ainsi que les investisseurs couverts par la directive 97/9/CE et protéger les fonds et actifs des clients" (art. 26.2 de la proposition de directive BRR).

Le mécanisme de renflouement interne ("bail in")

Le principal mécanisme de résolution est le "renflouement interne" (art. 37), c'est-à-dire une solution qui fait absorber la charge de la défaillance par les actionnaires et certains créanciers de l'établissement et qui permet ainsi d'assurer la continuité de l'établissement.

L'article 38.1 impose aux états membres d'adopter des mesures qui permettent aux autorités de résolution de réduire d'autorité le capital et les dettes de l'établissement pour assurer son sauvetage "interne". L'article 38.2 exclut cependant la réduction des "dépôts couverts" par le système de garantie mis en place conformément à la directive 94/19/CE (100.000 EUR), les dettes garanties, les dettes liées à des fonctions critiques de l'établissement, les dettes interbancaires de très court terme et les dettes liées à la participation à un système de paiement.

Les articles 42 et 43 organisent l'ordre de contribution des actionnaires, créanciers subordonnés et autres créanciers dans le renflouement de l'établissement.

Le nouveau privilège des dépôts

C'est dans ce cadre qu'un article 98bis a été inséré dans la BRRD. Cette disposition impose aux états membres de mettre en place le système suivant:

  • "les dépôts éligibles des personnes physiques et des micro, petites et moyennes entreprises bénéficient d'un niveau de priorité plus élevé que les créances des créanciers ordinaires non garantis et non privilégiés";
  • "les dépôts couverts bénéficient d'un niveau de priorité plus élevé que la part des dépôts éligibles des personnes physiques et des micro, petites et moyennes entreprises qui excède le niveau de couverture";
  • "le niveau de priorité du système de garantie des dépôts subrogeant les droits et obligations des déposants couverts en cas d'insolvabilité correspond au niveau de priorité des dépôts couverts prévu au point ii)".

Les "micro-, petites et moyennes entreprises" sont définies par référence à la Recommandation 2003/361/CE comme les "entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros". Les "dépôts éligibles" sont définis par renvoi à l'article  premier de la directive 94/19/CE.

Impact de ce nouveau privilège et points de comparaison

Ce nouveau privilège, joint aux mécanismes de résolutions, aura pour effet de réduire ou de faire disparaître la garantie implicite des états en faveur des grandes banques.

Ce nouveau privilège aura également pour effet, mécaniquement, de subordonner les créances non protégées, en raison de l'importance des dépôts éligibles dans le bilan des banques.

En conséquence de ces deux effets, le coût du crédit pour ces banques pourrait augmenter.

Ce privilège nouveau peut utilement être comparé au privilège existant en droit belge en faveur des assurés (article 18 et 48/16 de la loi de contrôle des entreprises d'assurances du 9 juillet 1975), mais ce privilège porte en premier lieu sur les actifs représentatifs des provisions techniques de l'assureur. Il peut également être comparé à l'ancien privilège des déposants qui avait été instauré dans la réglementation propre aux caisses d'épargnes privées (arrêté royal n° 42 du 15 décembre 1934 relatif au contrôle des caisses d'épargne privées coordonné par l'arrêté royal du 23 juin 1967, abrogé par la loi bancaire du 22 mars 1993), mais ce privilège portait sur des actifs déterminés constitués par les remplois légaux des caisses d'épargnes privées.


Entrée en vigueur

La BRRD entrera en vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel et devra être transposée et être applicable en droit national au plus tard douze mois après.

La réforme bancaire annoncée par le gouvernement belge contient une disposition qui transpose en droit belge les mécanismes de renflouement interne décrits ci-dessus et qui crée un nouveau privilège dont l'entrée en vigueur devrait intervenir conformément à la BRRD.