Les participants à un cartel peuvent être tenus responsables des prix plus élevés facturés par des entreprises n'ayant pas participé à l'entente ("umbrella pricing")

Spotlight
15 septembre 2014

Dans un arrêt du 5 juin 2014 (C-557/12) , la Cour de justice a jugé que les participants à une entente peuvent être tenus responsables pour les prix plus élevés pratiqués par des entreprises concurrentes n'ayant pas participé à l'entente. Ceci peut être le cas lorsque l'entente permet à des entreprises qui n'y participent pas d'appliquer des prix qui n'auraient pas pu être mis en œuvre en l'absence d'entente et lorsque cette possibilité d'augmenter ces prix était prévisible. Les clients confrontés à des augmentations de prix résultant d'un prix de protection ("umbrella pricing") peuvent poursuivre les participants à l'entente.

C'est la première fois que la Cour a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si un prix de protection peut donner lieu à un recours en indemnité. Le phénomène de "prix de protection" consiste en ce qu'une entreprise ne participant pas à l'entente applique, en considération de l'entente, un prix plus élevé que celui qui aurait pu être mis en œuvre dans des conditions de concurrence normale. Les clients de cette entreprise peuvent-ils introduire un recours en indemnité à l'encontre des participants à l'entente pour le dommage résultant du prix plus élevé? Dans certains pays (notamment en Autriche), un tel recours a été exclu à défaut d'un "lien de causalité adéquat".

La Cour reconnaît que, en l'absence de réglementation européenne en la matière, il appartient à chaque État membre de régler les modalités d'exercice du droit de demander réparation, y compris celles concernant le lien de causalité. Ces règles ne peuvent mettre en cause la pleine efficacité du droit de la concurrence, ce qui exige que toute personne peut demander réparation du dommage que lui aurait causé un accord susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

Selon la Cour, le prix de protection fait partie des effets possibles et prévisibles d'une entente. Lorsque certaines conditions du marché sont réunies, il ne peut être exclu que l'entreprise concurrente, étrangère à l'entente, choisisse de mettre en œuvre des prix supérieurs à ceux qu'elle aurait appliqués en l'absence de ladite entente. Cette décision, même si elle est considérée comme étant purement autonome, a pu être prise en considération d'un prix du marché faussé par l'entente et dès lors contraire aux règles de concurrence.

Par conséquent, la victime d'un prix de protection peut obtenir la réparation du dommage subi auprès des membres d'une entente lorsqu'il est établi (i) que cette entente était, selon les circonstances de l'espèce et, notamment, les spécificités du marché concerné, susceptible d'avoir pour conséquence l'application d'un prix de protection par des tiers agissant de manière autonome, et (ii) que ces circonstances et spécificités ne pouvaient être ignorées par les membres de ladite entente. Une réglementation nationale qui exclut, de manière catégorique, un droit à réparation dans une telle situation est susceptible selon la Cour de remettre en cause la pleine effectivité de l'article 101 TFUE.

Cet arrêt est susceptible de renforcer l'application du droit de la concurrence par les particuliers. S'il est à présent établi qu'un dommage résultant d'un prix de protection doit pouvoir faire l'objet d'un recours en indemnité, les participants à une entente ne seront pas automatiquement tenus responsables pour toutes les augmentations de prix mises en œuvre dans le marché affecté par l'entente. Il convient notamment de démontrer que l'entente a causé la hausse des tarifs appliqués par des entreprises non-participantes et que ces augmentations étaient prévisibles.