Lorsque les plus-values privées sur actions sont imposées au titre de revenus divers au motif qu'elles ont été réalisées en dehors de la gestion normale du patrimoine privé, cela se fait, depuis la loi du 11 décembre 2008, sur une base brute.
Dans un arrêt majeur rendu le 21 septembre 2023, la Cour constitutionnelle a estimé qu'il s'agissait d'une discrimination interdite à l'égard des contribuables qui obtiennent des bénéfices ou profits résultant d’une gestion anormale du patrimoine privé et qui sont imposés sur une base nette. Dorénavant, les plus-values sur actions obtenues dans le cadre d'une gestion anormale du patrimoine privé ne sont donc également imposables que sur une base nette (et par conséquent après déduction de frais).
Bien que la Cour constitutionnelle n'ait pas traité de la compensation des pertes, il nous semble quasi évident que les pertes résultant d'opérations anormales sur actions réalisées au cours des cinq périodes imposables précédentes devraient également pouvoir être compensées par des plus-values privées imposables sur actions.
Toute personne qui, depuis le 1er janvier 2019, a été imposée sans déduction de frais et/ou compensation de pertes sur les plus-values sur actions issues de la gestion anormale du patrimoine privé (soit à 33%), alors que des frais ont été engagés ou supportés pour réaliser ces plus-values et/ou que des pertes liées à ces opérations ont été subies au cours des cinq années précédant la réalisation de ces plus-values, a tout intérêt à agir rapidement.
L’enjeu (plus) en détail
Jusqu'à la loi du 11 décembre 2008, les plus-values sur actions, réalisées en dehors de la gestion normale du patrimoine privé, étaient imposées en vertu de l'article 90, alinéa 1er, 1° CIR92 au même titre que les autres bénéfices ou profits obtenus dans le cadre de cette gestion. De la plus-value imposable, les frais engagés ou supportés pour l'obtention ou le maintien des revenus imposables en tant que revenus divers pouvaient être déduits. En outre, les pertes subies au cours des cinq années précédentes, lors de la réalisation d’opérations imposables en vertu de l’article précité, pouvaient également être déduites des revenus de ces opérations. Il s'agit donc d'une taxation sur une base nette.
Les personnes ayant réalisé des plus-values sur des actions provenant d'une participation dite substantielle (de 25%) lors de la vente à des non-résidents en dehors de l'EEE, imposables en vertu de l'article 90, premier alinéa, 9°, (désormais) deuxième tiret du CIR92, ont toujours fait l'objet d'une taxation sur une base brute (sans aucune déduction de frais ou compensation de pertes).
En 2008, le législateur a toutefois jugé nécessaire – sans modifier l'article 90, premier alinéa, 1° CIR92 (qui restait donc théoriquement d'application pour ces plus-values) – de traiter les plus-values sur actions résultant d'une gestion anormale du patrimoine privé dans une disposition distincte (à savoir dans l'article 90, premier alinéa, 9°, premier tiret CIR92) (qui ne rendait jusqu'alors imposables que les plus-values provenant d'une participation dite substantielle lors de la vente à des non-résidents en dehors de l'EEE). Bien que le législateur n'ait pas voulu créer une nouvelle matière imposable, la conséquence de cette modification législative a été que les dispositions qui permettaient jusqu'alors la déduction de frais et la compensation de pertes pour les revenus relevant de l'article 90, premier alinéa, 1°, ne s'appliquaient soudainement plus aux plus-values sur actions imposées en vertu de l'article 90, premier alinéa, 9°, premier tiret CIR92. Ces contribuables subissent depuis lors une imposition sur une base brute.
Dans une affaire traitée par notre équipe fiscale, la question s'est posée de savoir si les contribuables pouvaient déduire du montant de la plus-value réalisée les honoraires d'avocats liés à la vente d'actions (dont la plus-value a été taxée au titre de revenu divers). Le tribunal fiscal a décidé de renvoyer cette question à la Cour constitutionnelle.
Analyse de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle relève tout d'abord que, si les plus-values sur actions provenant de la gestion anormale du patrimoine privé constituent une catégorie distincte de revenus divers depuis la loi précitée du 11 décembre 2008, elles étaient auparavant imposables en vertu de l'article 90, premier alinéa, 1°. En conséquence, les catégories de revenus visées respectivement à l'article 90, alinéa 1er, 1° et 9° sont similaires. Toutefois, la loi précitée n'a pas modifié la disposition qui prévoit la déduction des frais pour les revenus imposables en vertu de l'article 90, premier alinéa, 1°, de sorte qu'elle ne s'applique pas aux plus-values visées à l'article 90, premier alinéa, 9°, premier tiret. Le fait qu'aucune déduction de frais n'est donc possible pour ces plus-values n'a jamais été expliqué par le législateur. Aucune explication n'a davantage été trouvée dans la disposition qui, en 1976, prévoyait l'absence de déduction de frais pour la taxation des plus-values provenant d'une participation substantielle.
L'État belge soutenait que cette différence de traitement était justifiée par le fait que les plus-values visées à l'article 90, paragraphe 1, 9°, premier tiret, résulteraient d'une activité passive pour laquelle aucun coût spécifique ne serait nécessaire, tandis que les bénéfices et profits visés à l'article 90, paragraphe 1°, résulteraient d'une activité pour laquelle des frais seraient nécessaires. La Cour constitutionnelle a toutefois rejeté, à juste titre, cette argumentation et a jugé qu'il n'était pas exclu que la réalisation des plus-values visées à l'article 90, paragraphe 1, 9°, premier tiret, nécessite également des frais. Selon la Cour, rien ne justifie que ces frais ne puissent être déduits des revenus imposables.
La Cour constitutionnelle conclut donc qu'il n'y a pas de justification raisonnable à la différence de traitement établie. Toutefois, dans l'attente d'une action législative, la Cour formule (de manière quelque peu surprenante) une solution à l'intention des juges fiscaux afin de mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée, c'est-à-dire en autorisant également la déduction de frais pour les plus-values mentionnées à l'article 90, paragraphe 1, 9°, premier tiret.
Conclusion et implications de l'arrêt
Tout d'abord, il n'est désormais plus possible pour les autorités fiscales de taxer les plus-values privées sur actions sans déduction de frais et donc sur le montant brut.
Deuxièmement, la Cour constitutionnelle n'a pas jugé utile dans ce cas d'aborder la différence de traitement concernant la possibilité de compensation de pertes, au motif que dans ce cas, il n'y avait pas de pertes du tout. Toutefois, nous pensons que la position de la Cour sur la déduction de frais peut être appliquée mutatis mutandis à la compensation de pertes, dans la mesure où il existe des pertes résultant de transactions d'actions considérées comme une gestion anormale, réalisées cinq ans avant la réalisation de la plus-value imposable.
Troisièmement, compte tenu du raisonnement de la Cour constitutionnelle, les contribuables qui ont été imposés en vertu de l'article 90, premier alinéa, 9°, deuxième tiret CIR92 lors de la vente d'une participation substantielle à certains non-résidents, pourraient également faire valoir la déduction de frais et/ou la compensation de pertes.
Enfin, cet arrêt a une importance pour quiconque a subi une telle taxation brute depuis le 1er janvier 2019. En effet, les arrêts de la Cour constitutionnelle sont considérés comme un fait nouveau probant sur la base duquel un dégrèvement d'office de la surcharge peut être demandé. Les contribuables, qui ont été taxés sur la base du montant brut depuis le 1er janvier 2019, pourraient donc se réfugier dans cet arrêt afin d’obtenir un dégrèvement pour ne pas avoir déduit les frais liés aux plus-values et/ou ne pas avoir compensé les pertes des transactions d'actions pertinentes pendant les cinq années précédant la réalisation de la plus-value imposable.
Nous vous conseillerons avec plaisir si vous êtes confronté à cette problématique.