L’Administration Générale de l’Inspection Spéciale des Impôts (également connue en tant que l’« ISI ») est probablement l’administration fiscale au sein du SPF Finances qui est la plus célèbre mais aussi la plus redoutée. Comme on a déjà pu le voir dans le passé, l’ISI n’hésite pas lors de certains contrôles fiscaux à tester voire repousser les limites des pouvoirs et compétences qui lui sont reconnus. Or, ces limites existent et il est important de veiller à les lui rappeler le cas échéant.
Pour les contribuables, cela implique concrètement qu’ils soient conscients de leurs droits et obligations lors des contrôles menés par l’ISI. Cela peut permettre d’empêcher des actes d’investigation qui seraient purement et simplement illégaux ainsi que de prendre les mesures et faire les réserves nécessaires pour préserver leurs droits lors d’une procédure future.
De manière brève, l’on peut identifier trois limites au champ d’action de l’ISI :
- Limite matérielle : si l’ISI est une administration dite « polyvalente », c’est-à-dire qu’elle peut contrôler et procéder à l’établissement de tous les impôts qui sont de la compétence du SPF Finances, il n’en demeure pas moins que l’ISI a pour mission légale de combattre la fraude. Selon nous, il ne lui appartient donc pas d’enrôler l’impôt dans un dossier où elle réalise, après avoir effectué le contrôle nécessaire, qu’il n’est pas frauduleux. Dans ce cas, elle doit transmettre ce dossier à l’administration fiscale compétente.
- Limite territoriale : l’ISI est composée de cinq directions régionales qui ont chacune leur propre compétence territoriale qu’il faut donc vérifier lorsqu’elle pose un acte d’investigation ou de taxation (surtout lorsque les contrôles sont exécutés dans la région de Bruxelles-Capitale).
- Limites procédurales et temporelles : les différents codes fiscaux prévoient des règles procédurales ainsi que des formalités substantielles devant être respectées par l’administration fiscale, y compris l’ISI, lorsqu’elle entend enquêter ou procéder à la rectification de la situation fiscale du contribuable. À côté de cela, ces codes imposent également des limites temporelles tant pour la phase d’investigation que d’établissement ou encore pour le recouvrement.
C’est précisément cette troisième catégorie de limites qui vient d’être clairement rappelée par la cour d’appel d’Anvers dans un arrêt récent du 21 juin 2022 dans le cadre d’une imposition à l’impôt des sociétés pour l’exercice 2013. Dans cette affaire (dans laquelle l’équipe d’Eubelius menée par Svjatoslav Gnedasj a assisté le contribuable), l’ISI avait adressé en 2016 une demande de renseignements à un tiers sans préciser sur quel impôt elle enquêtait. Cette demande portait sur les années 2012 et précédentes. Elle a ensuite taxé le contribuable à l’impôt des sociétés pour l’exercice 2013 et une rectification TVA a également suivi.
Or, si la demande de renseignements susmentionnée est faite en matière d’impôt des sociétés au-delà du délai ordinaire d’investigation du trois ans, la loi dispose qu’elle doit être précédée d’une notification préalable d’indices de fraude au contribuable faisant l’objet de l’enquête. Par contre, en TVA, cette notification peut avoir lieu avant que l’administration rectifie la situation du contribuable, ce qui était en l’espèce le cas, mais donc pas nécessairement avant qu’elle commence à poser des actes d’investigation.
À l’audience devant le tribunal de première instance, l’ISI a reconnu que, lors de la demande de renseignements susmentionnée, son enquête portait tant sur l’impôt des sociétés que la TVA. Néanmoins, elle invoquait qu’étant donné sa compétence polyvalente, rien ne l’empêchait de choisir la règle de procédure « la moins contraignante », en l’espèce la règle TVA qui ne l’obligeait pas à envoyer une notification préalable d’indices de fraude avant de procéder à des actes d’investigation.
La cour d’appel d’Anvers ne suit pas ce raisonnement et souligne que si l’ISI mène simultanément une enquête sur l’impôt des sociétés et la TVA, sa compétence polyvalente ne la dispense pas de respecter les législations qui sont applicables dans ces impôts. En conséquence, en matière d’impôt des sociétés, l’ISI devait envoyer une notification préalable d’indices de fraude au contribuable. Comme elle ne l’a pas fait, l’imposition est nulle. Un arrêt qui mérite d’être pleinement approuvé !