Dans un arrêt du 20 mai 2019, la Cour de cassation a jugé que les avantages (en espèces ou évaluables en argent) octroyés par des tiers aux travailleurs en contrepartie du travail en exécution de leur contrat de travail avec un employeur, sont de la rémunération sur laquelle des cotisations sociales doivent être versées. La Cour de cassation confirme ainsi le changement de position de l'ONSS suite à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.
La notion de rémunération
Le droit du travail et de la sécurité sociale connait différentes notions de rémunération. La notion générale de rémunération couvre la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail.
La loi ONSS se réfère quant à elle à la notion de rémunération reprise dans la loi sur la protection de la rémunération afin de déterminer sur quelle « rémunération » les cotisations de sécurité sociale sont dues. Cette notion de rémunération requiert : (i) un avantage en espèces ou évaluable en argent ; (ii) auquel le travailleur a droit en raison de son engagement ; et (iii) à charge de l'employeur.
Avantages octroyés par des tiers : à charge de l'employeur ?
La réalisation de la condition d'être « à charge de l'employeur » a suscité des controverses au cours de l'année écoulée.
La position de l'ONSS depuis de nombreuses années était que cette condition est remplie dès lors qu'un avantage est directement ou indirectement, financièrement ou juridiquement, à charge de l'employeur. Par conséquent, un avantage octroyé directement au travailleur par un tiers sans aucune intervention ou obligation légale de la part de l'employeur n'était pas considéré comme de la rémunération. Cet avantage n'était donc pas soumis aux cotisations de sécurité sociale.
Suite à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 7 mars 2018, l'ONSS a donné dans ses instructions administratives une interprétation très large de la notion de rémunération en droit de la sécurité sociale (voir également Eubelius Spotlights de décembre 2018). Dans cet arrêt, la cour du travail a jugé que les cotisations de sécurité sociale étaient dues sur une prime à la vente payée par un producteur de produits de beauté aux travailleurs d'une chaîne de magasins en fonction de la vente de ses produits, sans que celle-ci soit à charge de l'employeur.
Malgré de vives critiques en doctrine, la Cour de cassation confirme le jugement de la cour du travail dans un arrêt très surprenant du 20 mai 2019. La Cour de cassation a jugé que l'obligation de l'employeur de verser la rémunération n'est pas une composante distincte de la notion générale de rémunération, mais une conséquence nécessaire de l'exécution du contrat de travail. La Cour estime qu'il n'est pas conciliable avec la nature du contrat de travail et la notion de rémunération de tenir que l'employeur ne serait pas tenu de payer ce qui constitue la contrepartie du travail effectué dans l'exécution du contrat de travail. Selon la Cour de cassation, la notion de rémunération au sens de la sécurité sociale n'affecterait pas la notion générale de rémunération, mais l'étendrait aux avantages qui ne sont pas la contrepartie du travail.
Cela implique que chaque avantage qui constitue la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail est de la rémunération sur laquelle des cotisations de sécurité sociale sont dues. Ainsi, il ne doit pas être examiné si les travailleurs ont droit à l'avantage à charge de l'employeur.
Les cotisations ONSS à payer par l'employeur ou par le tiers ?
La loi ONSS stipule que lorsqu'une partie de la rémunération est versée à un travailleur par l'intervention d'un tiers, celui-ci est substitué à l'employeur pour l'accomplissement de toutes les obligations relatives à cette rémunération qui incombent à cet employeur. Cela concerne en particulier le dépôt d'une déclaration et le paiement des contributions dues.
Toutefois, le tiers peut se décharger de ces obligations en fournissant à l'employeur tous les renseignements requis pour lui permettre de faire cette déclaration de rémunération dans le délai réglementaire. Dans ce cas, les obligations incombent à nouveau et exclusivement à l'employeur.
Si le tiers ne le fait pas, il reste seul responsable de ces obligations, sans que l'employeur puisse être tenu responsable. Cela nous a été confirmé par écrit par l'ONSS.
L'employeur ne peut donc être tenu responsable que si le tiers lui a fourni à temps tous les renseignements nécessaires à la déclaration et a versé à l'employeur les cotisations patronales retenues.
Conclusion
Dans son arrêt du 20 mai 2019, la Cour de cassation a jugé qu'un avantage (en espèces ou évaluables en argent) en contrepartie du travail constitue de la rémunération sur laquelle des cotisations de sécurité sociale sont dues, même s'il est octroyé par un tiers et n'est pas à charge de l'employeur. L'obligation de déclaration et de paiement des cotisations de sécurité sociale incombe au tiers. Ce n'est que si le tiers fournit à temps à l'employeur tous les renseignements nécessaires pour effectuer la déclaration et le paiement lui-même, que l'employeur est tenu de payer les cotisations de sécurité sociale.
Sur la base de l'arrêt de la Cour de cassation, la porte reste (théoriquement) ouverte pour les avantages qui ne constituent pas une contrepartie du travail. Dans ses instructions administratives, l'ONSS précise que ces avantages ne peuvent constituer de la rémunération que s'ils sont supportés directement ou indirectement par l'employeur. L'ONSS donne toutefois une interprétation très large à cette condition et précise que cette condition est remplie dès que « un avantage octroyé au travailleur par un tiers est facturé par ce dernier à l'employeur même », mais aussi dans « d'autres situations dans lesquelles l'octroi est la conséquence des prestations réalisées dans le cadre du contrat de travail conclu avec l'employeur, ou est lié à la fonction exercée par le travailleur chez l'employeur ».
L'arrêt de la Cour de cassation a un impact important. Les avantages octroyés à des travailleurs par une autre entreprise comme contrepartie du travail entraîne des obligations de sécurité sociale pour le tiers. Ceci s'applique a fortiori dans le cadre de groupes de sociétés où en pratique des avantages sont souvent octroyés par la société-mère aux travailleurs des sociétés liées.
Un tiers averti en vaut deux !