Deux arrêtés royaux et une loi modificative de décembre 2015 ont complété la transposition en droit belge de la BRRD en introduisant le mécanisme de renflouement interne et la résolution de groupes. C'est le moment d'examiner le mécanisme de dépréciation et de conversion des fonds propres pertinents et sa combinaison éventuelle avec les actions de résolution. Ce mécanisme n'est pas expressément soumis au principe "no creditors worse off" applicable en cas de résolution mais ne pourra, en vertu du droit commun, être appliqué de manière arbitraire.
Distinction
Le considérant 81 de la directive 2014/59/UE du 15 mai 2014 établissant le cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit (la "BRRD") invite les Etats membres à faire en sorte que lorsqu'un établissement de crédit a atteint son point de non viabilité, aucune mesure de résolution ne soit prise avant que les fonds propres pertinents aient été intégralement dépréciés ou convertis en fonds propres de base de catégorie 1.
L'autorité de résolution a le pouvoir de déprécier ou de convertir les instruments de fonds propres pertinents soit séparément, soit simultanément à une mesure de résolution, lorsque les conditions de déclenchement d'une procédure de résolution sont remplies (article 250, §1er de la loi du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit – la "Loi Bancaire"). En dehors du contexte d'un groupe, ce pouvoir peut être utilisé dans trois cas (article 250, §2) :
- lorsque l'autorité de résolution a établi que les conditions de déclenchement d'une procédure de résolution sont remplies, avant de prendre une mesure de résolution;
- lorsque l'autorité de résolution constate qu'à défaut d'exercice de son pouvoir, l'établissement atteindra son "point de non-viabilité"; ou
- lorsqu'un soutien financier public exceptionnel est demandé par l'établissement.
Le "point de non-viabilité" est la situation dans laquelle:
"1° la défaillance de l'établissement de crédit […] est avérée ou prévisible; et
2° compte tenu des délais requis et d'autres circonstances pertinentes, il n'existe aucune perspective raisonnable qu'une action autre que la dépréciation ou la conversion des instruments de fonds propres pertinents, mise en œuvre séparément ou en combinaison avec une mesure de résolution […], empêche la défaillance de l'établissement de crédit [...] dans un délai raisonnable" (article 251).
Cette situation est très proche de celle qui implique le déclenchement d'une procédure de résolution. Une action de résolution est prise lorsque (article 244, §1 de la Loi Bancaire):
"1° [il est] établi que la défaillance est avérée ou prévisible;
2° compte tenu des délais requis et d'autres circonstances pertinentes, il n'existe aucune perspective raisonnable qu'une autre action de nature privée ou prudentielle notamment […] la dépréciation ou la conversion d'instruments de fonds propres […] empêche la défaillance de l'établissement de crédit dans un délai raisonnable; et
3° une mesure de résolution est nécessaire dans l'intérêt public".
L'application d'un instrument de résolution doit dès lors être précédée du constat que l'exercice du pouvoir de dépréciation ou de conversion ne suffit pas pour éviter la défaillance de l'établissement. En conséquence, les mesures de résolution seront appliquées après une réduction et/ou conversion des instruments de fonds propres pertinents. Par contre, il n'est pas exclu que le pouvoir de dépréciation ou de conversion de fonds propres pertinents suffise, dans certains cas exceptionnels, pour éviter qu'un établissement de crédit ne franchisse définitivement le "point de non-viabilité". Cette opération préalable aura essentiellement pour effet de faire disparaître les pertes du bilan en les compensant avec les fonds propres de base de catégorie 1.
Valorisation
Aucun exercice du pouvoir de dépréciation ou de conversion et aucune mesure de résolution ne peut être prise par l'autorité de résolution avant qu'elle ait fait procéder à une valorisation "juste, prudente et réaliste" de l'actif et du passif de l'établissement de crédit par une personne indépendante de toute autorité publique, y compris de l'autorité de résolution, ainsi que de l'établissement de crédit (article 246 de la Loi Bancaire). En raison de l'urgence, une valorisation provisoire permettra de prendre les mesures de résolution ou d'exercer les pouvoirs de dépréciation ou de conversion (article 248, §2 de la Loi Bancaire). Cette valorisation provisoire sera, dans tous les cas, suivie d'une valorisation définitive (article 248, §3, alinéa 1er).
Dépréciation et conversion des fonds propres pertinents
Seuls les instruments de "fonds propres pertinents" peuvent être dépréciés ou convertis. Les "fonds propres pertinents" correspondent aux fonds propres additionnels de catégorie 1 et aux fonds propres de catégorie 2 (article 242, 12° de la Loi Bancaire).
Les instruments de fonds propres de base de catégorie 1, c'est-à-dire essentiellement les actions ordinaires, ne font pas partie des fonds propres pertinents parce que ces instruments sont définis comme absorbant "la première partie des pertes, et proportionnellement la plus importante, lorsque celles-ci ont lieu" (article 28.1, i) du Règlement (UE) 575/2013 ("CRR")).
La valorisation préalable à l'exercice du pouvoir de dépréciation et de conversion pourra faire apparaître une valeur des actions ordinaires égale à zéro.
L'autorité de résolution pourra, sur base de l'article 254, §1er de la Loi Bancaire, "exiger de l'établissement de crédit qu'il émette de nouveaux instruments de fonds propres de base de catégorie 1 en faveur des détenteurs des instruments de fonds propres pertinents" dans le cadre d'une conversion de ces derniers instruments en instruments de fonds propres de base de catégorie 1, c'est-à-dire, en règle, en actions ordinaires. Cette injonction obligera la société à convoquer les organes compétents pour leur faire décider ces opérations conformément aux procédures et avec les rapports imposés par le droit des sociétés. Ce passage par les organes de la société permet de se conformer formellement au principe de droit des sociétés qui réserve à l'assemblée des actionnaires le pouvoir de modifier le capital (article 29 de la directive de droit des sociétés 2012/30/UE du 25 octobre 2012 (refonte); arrêt Pafitis de la CJCE du 12 mars 1996 (C 441/93)). Pour les instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1, la réduction ou la conversion a lieu d'office lorsqu'un élément déclencheur se produit, notamment lorsque le ratio de fonds propres de base de catégorie 1 franchit à la baisse le seuil de 5,125% (CRR, article 54.1, a)).
Cette augmentation de capital sera, en Belgique, précédée d'une réduction du capital à zéro, si l'actif net est nul ou négatif, avant de procéder à une augmentation de capital destinée à recapitaliser l'établissement. Si l'actif net est négatif, l'augmentation de capital sera précédée non seulement d'une réduction de capital pour réduire la part des actionnaires anciens dans le capital à zéro, mais également d'une dépréciation des instruments additionnels de catégorie 1 et, si nécessaire, des instruments de catégorie 2, pour ramener l'actif net à zéro. Cette opération se réalisera en application de l'article 614 du Code des sociétés.
Il résulte de ceci que lorsque la valeur de l'actif net est nulle ou négative, la réduction de la valeur des actions anciennes à zéro n'est pas le résultat d'une décision d'autorité, mais est la conséquence juridique d'une constatation comptable enregistrée avant de procéder à l'augmentation de capital. Par contre, la réduction ou la conversion des instruments additionnels de catégorie 1 et des instruments de catégorie 2 résultera, en règle, d'une décision de l'autorité de résolution.
Dépréciation et conversion dans le cadre d'un groupe
L'article 457 de la Loi Bancaire impose la dépréciation ou la conversion d'instruments de fonds propres pertinents émis par une filiale (§1er, 1°) ou par une entreprise mère (§1er, 2°) et comptabilisés aux fins du respect des exigences de fonds propres réglementaires sur base individuelle et consolidée lorsque "le groupe ne sera plus viable à moins que l'autorité de résolution n'exerce ce pouvoir".
Si, dans ce contexte, la dépréciation ou la conversion a lieu au niveau des instruments de fonds propres pertinents émis par une filiale (§1er, 1°), l'article 457, § 2 de Loi Bancaire énonce que:
"Un instrument de fonds propres émis par une filiale de droit belge n'est pas déprécié dans une plus large mesure ou converti suivant des conditions moins favorables […] que des instruments de fonds propres de niveau équivalent ne le sont au niveau de l'entreprise mère".
Cette règle garantit que les fonds propres pertinent d'une filiale ne seront pas affectés disproportionnellement par rapport à des instruments de fonds propre pertinents de niveau équivalent au niveau de l'entreprise mère située dans un autre Etat Membre.
Application des principes généraux de la résolution
Deux points d'attention sont à mentionner:
Premièrement, le principe du "no creditor worse off" (abrégé "NCWO") impose que les actionnaires et créanciers ne subissent pas, dans le cadre d'une procédure de résolution, une perte plus importante que celle qu'ils auraient subie dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité de droit commun. Ce principe est formulé à l'article 245, §1er, 8° de la Loi Bancaire pour l'application des instruments de résolution et l'exercice des pouvoirs de résolution. Il est précisé à l'article 282 en ce qui concerne les instruments de résolution de transfert partiel et de renflouement interne. Le principe NCWO n'est pas expressément applicable à une opération de dépréciation ou conversion. Les actionnaires et les détenteurs de fonds propres pertinents disposent cependant d'un droit de recours (article 296 de la Loi Bancaire) et pourront se prévaloir notamment de la garantie subsidiaire de l'article 1er du 1er Protocole à la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales pour obtenir une juste indemnisation.
Deuxièmement, et contrairement au champ d'application limité du NCWO, les règles d'exclusion de droits contractuels (article 287 de la Loi Bancaire), sont applicables dans le cadre de mesures de résolution ou de dépréciation ou conversion d'instruments de fonds propres pertinents. Cela implique que l'exercice du pouvoir de l'article 250 ne pourra constituer un événement de défaut d'exécution ("event of default") provoquant la résiliation anticipée du contrat pour autant que "les obligations essentielles au titre du contrat, […], continuent d'être assurées".