Le Conseil d'Etat a rendu un arrêt de principe concernant la durée des marchés publics. Une durée au-delà de quatre ans est possible, mais doit être motivée. Les conditions sous lesquelles un marché peut être passé pour une durée au-delà de quatre ans, doivent retenir l'attention.
Le 3 février 2016, la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat a rendu un arrêt important à propos de la durée d'un marché public. Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la requérante critiquait le fait que le marché convoité devait être conclu pour une durée de trois ans deux fois renouvelables pour une période d'un an, alors que l'article 37, § 2 de la loi sur les marchés publics (loi du 15 juin 2006) ne permet que de conclure un marché public, en règle générale, pour une durée maximale de quatre ans. Par ailleurs, la requérante a soutenu que les motifs indiqués dans la décision d'attribution attaquée, pour justifier l'éventuelle extension de la durée du marché litigieux à cinq ans, n'étaient ni pertinents ni admissibles. Ces motifs auraient, au surplus, été invoqués tardivement dans la mesure où ils figuraient seulement dans la décision d'attribution du marché.
Le Conseil d'Etat a jugé dans l'arrêt que l'article 37, § 2 "n'exclut pas qu'il soit dérogé à la durée maximale de quatre ans ainsi fixée". Le Conseil d'Etat y rajoute, toutefois, "encore faut-il qu'une telle dérogation soit dûment justifiée et que les motifs pour lesquels elle a été décidée soient formellement exprimés, dans le respect des obligations qu'impose au pouvoir adjudicateur – et singulièrement à la partie adverse – la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs". Si le Conseil d'Etat estime, ensuite, que les motifs de cette dérogation ne doivent pas être indiqués dans le cahier spécial des charges ou dans la décision qui arrête les conditions du marché, il considère, néanmoins, que ces motifs doivent être présents dans le dossier administratif. C'est ce qui devrait permettre de vérifier que ce "sont bien ceux qui avaient été pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour décider d'une telle dérogation". Dans l'arrêt le Conseil d'Etat estime non seulement que les motifs n'étaient pas présents dans le dossier administratif mais également que les motifs exprimés par le pouvoir adjudicateur dans la décision d'attribution étaient également à ce point généraux qu'ils ne répondaient pas à l'exigence de motivation.
Plusieurs enseignements peuvent être déduits de cet arrêt:
- Le Conseil d'Etat confirme que la conclusion d'un marché public pour une durée de plus de quatre ans n'est pas exclue en soi.
- L'arrêt change néanmoins, de façon assez fondamentale, le mode de pensée des pouvoirs adjudicateurs. Si un pouvoir adjudicateur souhaite conclure un marché public pour une durée supérieure à quatre ans, le pouvoir adjudicateur devra spécifiquement préparer et documenter cet aspect du marché: une "décision" spécifique par rapport à la durée du marché devra être prise, qui doit reposer sur des motifs adéquats. Ces motifs doivent être formellement exprimés (motivation formelle), dans le cahier des charges ou, à tout le moins, dans la décision d'attribution. Il s'avère que le Conseil d'Etat va loin dans le contrôle de ces motifs. En effet, dans l'arrêt précité le Conseil d'Etat n'a pas accepté le motif selon lequel le pouvoir adjudicateur voulait un contrat de cinq ans (trois ans, deux fois renouvelables) plutôt que de quatre ans pour avoir une stabilité de prix sur une période plus longue.
- Les motifs exprimés doivent correspondre à ceux — contenus dans le dossier administratif — qui avaient été pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour décider d'une telle dérogation.
Il est clair que l'obligation de documenter et de motiver spécifiquement la durée d'un marché supérieure à quatre ans n'est, en dehors des accords-cadres, pas prévue par les directives européennes. Il s'agit donc d'une règle particulière en droit belge. Les pouvoirs adjudicateurs qui octroient un marché pour une durée de plus de quatre ans sans tenir compte de cette règle encourent donc désormais un risque important.