Le Tribunal de l’UE (« Tribunal ») tranche en faveur de la Commission européenne (« Commission ») et juge celle-ci compétente pour examiner une concentration n’ayant franchi aucun seuil de notification européen ou national. Le 13 juillet 2022, le Tribunal a ainsi rejeté le recours en annulation introduit par Illumina contre la décision de la Commission d’examiner l’acquisition de Grail par Illumina. Cette décision consistait à accueillir une demande de renvoi effectuée par la France – et à laquelle s’étaient joints d’autres Etats membres – au titre de l’article 22 du règlement sur les concentrations (règlement n°139/2004, « RC »).
Le Tribunal a validé le changement de politique controversé de la Commission par lequel celle-ci avait annoncé qu’elle accueillerait à l’avenir les renvois effectués au titre de l’article 22 dans les cas où ni la Commission, ni l’Etat membre effectuant ce renvoi, ne seraient compétents pour examiner l’opération en application des seuils européens ou nationaux de notification de concentration. Dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, les renvois émanant d’Etats membres eux-mêmes non compétents pour examiner l’opération étaient découragés ; la Commission a donc pris un tournant radical. En effet, la Commission a publié, le 26 mars 2021, des orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22, soulignant, entre autres, que des concentrations pourraient être soumises à son examen même après qu’elles aient été mises en œuvre.
L’acquisition envisagée du contrôle exclusif de Grail, une société américaine active dans la biotech développant notamment des tests sanguins de dépistage précoce des cancers, par Illumina, autre société américaine offrant notamment des solutions de séquençage génomique utilisées dans le dépistage des cancers, constituait la première affaire soumettant cette nouvelle approche de la Commission au contrôle de légalité des juridictions européennes. La Commission avait activement sollicité auprès des Etats membres une demande de renvoi de l’opération à ses services, cette requête ayant été suivie d’effets par la France et, à sa suite, un certain nombre d’autres Etats membres, y compris la Belgique. La Commission avait ensuite accueilli la demande de renvoi et s’était déclarée compétente pour examiner l’opération.
Illumina ayant contesté la compétence de la Commission pour accueillir ce renvoi, le Tribunal a néanmoins considéré que celle-ci était en droit d’agir de la sorte. Le Tribunal a ainsi jugé que le mécanisme de renvoi de l’article 22 RC constitue un mécanisme de correction des seuils de notification fondés sur le chiffre d’affaires, facteur déterminant principal de la compétence de la Commission, et que ce mécanisme participe à l’objectif général du RC de permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations ayant des effets significatifs sur la structure de la concurrence dans l’UE. Par conséquent, le Tribunal considère qu’il est possible de formuler une demande de renvoi au titre de l’article 22 RC indépendamment des seuils nationaux de notification des concentrations.
Illumina a déjà indiqué vouloir faire appel de la décision du Tribunal, mais également vouloir obtenir une approbation de cette opération par la Commission.
L’impact potentiel de la décision du Tribunal est important et rendra l’analyse de contrôle des concentrations plus complexe. Les parties devront procéder à une évaluation prudente de l’entreprise cible et de sa capacité à innover, en particulier lorsque cette entreprise fournit des éléments clés ou des composantes nécessaires à d’autres activités, ou lorsqu’elle a accès à des actifs stratégiques. Il pourrait être indiqué, dans certains cas, de s’adresser proactivement à la Commission ou aux autorités nationales compétentes en vue d’évaluer leur intérêt potentiel à se saisir de l’opération.
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