La Cour de justice rejette les recours en annulation de l'Espagne contre les Règlements sur le Brevet Unitaire

Spotlight
15 juin 2015

Les Eubelius Spotlights avaint déjà attiré l'attention sur la décision de 25 États membres de l'UE de mettre en œuvre un brevet européen à effet unitaire ("Brevet Unitaire") dans leurs territoires et, à la fois, d'établir une juridiction unifiée en matière de brevets, étant un tribunal des brevets commun ayant compétence à l'égard des 25 États membres (Eubelius Spotlights décembre 2014). La Cour de Justice a maintenant rejeté deux actions en annulation des règlements en la matière.

En 2012, les États membres participants ont approuvé deux Règlements européens pour la mise en œuvre du Brevet Unitaire: le Règlement sur le Brevet Unitaire (1257/2012) et le Règlement de Traduction (1260/2012) définissant les exigences en matière de traduction pour le Brevet Unitaire. Les Règlements entreront en vigueur une fois que l'Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet aura été ratifié par 13 États membres (dont la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni). L'Espagne et l'Italie ont refusé de participer au mécanisme du Brevet Unitaire.

L'Espagne a institué deux recours devant la Cour de justice de l'Union européenne en 2013 (C-146/13 et C-147/13) visant à annuler le Règlement sur le Brevet Unitaire et le Règlement de Traduction en alléguant des violations du droit de l'Union.

Les moyens invoqués par l'Espagne revenaient essentiellement aux critiques suivantes:
 

  1. Le Brevet Unitaire serait contraire au droit de l'UE car la phase de délivrance du Brevet Unitaire (régi par la Convention sur le brevet européen) n'est pas soumise au contrôle judiciaire de l'UE;
  2. Le Brevet Unitaire ne serait pas un véritable titre unique de l'UE car de nombreuses provisions de droit matériel des brevets (comme les provisions concernant la contrefaçon directe et indirecte et la validité) font partie soit de l'Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet, soit de la Convention sur le brevet européen, et donc de deux instruments qui ne sont pas des traités UE;
  3. Les exigences en matière de traduction pour le Brevet Unitaire sont discriminatoires car le brevet ne sera délivré qu'en français, en allemand et en anglais comme langues officielles.


Dans ses conclusions présentées le 18 novembre 2014, l'Avocat Général Bot avait déjà proposé de rejeter les revendications de l'Espagne (voir Eubelius Spotlights décembre 2014). Dans son arrêt du 5 mai 2015 (C-146/13 et C-147/13) la Cour de Justice a confirmé les conclusions de l'Avocat Général et a rejeté les demandes de l'Espagne.

La Cour a accepté le caractère accessoire du Brevet Unitaire, impliquant que seule la phase post-délivrance est harmonisée par les Règlements européens. La Cour de Justice a statué que le droit de l'Union (en particulier l'article 118 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne) ne requiert pas forcément l'harmonisation de tous les aspects d'un droit de propriété intellectuelle uniforme d'une manière complète et exhaustive. Au sujet des langues, la Cour a jugé que les Règlements ne violaient pas le principe d'égalité et de non-discrimination, étant donné qu'ils poursuivent un but légitime, à savoir la facilitation de l'accès à la protection des brevets, et qu'ils sont proportionnels en vue du remboursement des coûts liés à la traduction des demandes de brevet, les exigences de traduction en cas de litige et pendant la période transitoire. D'après la Cour, il n'y a pas de principe général de droit de l'Union qui signifierait que tout document qui concernerait un citoyen de l'UE devrait être rédigé dans sa propre langue en toutes circonstances.

Bien que les États membres participants se soient d'ores et déjà occupés de la préparation de la mise en œuvre du "Package du Brevet Unitaire", les revendications de l'Espagne pesaient sur ce projet comme une épée de Damoclès. La Cour de justice a maintenant enlevé cette épée d'une manière définitive et a ouvert la voie à la création d'un titre unique de brevet européen et une juridiction unifiée en matière des brevets. Suite au jugement positif de la Cour de justice, l'Italie envisage en ce moment de se joindre tout de même aux Règlements pour la mise en œuvre du Brevet Unitaire.

La Belgique a ratifié l'Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet en mai 2014. Pour que le nouveau système entre en vigueur, huit États membres doivent encore ratifier l'Accord. Ces États membres ne peuvent plus se cacher derrière l'épée de Damoclès que l'Espagne avait accroché afin de refuser ou de reporter la ratification. Pourvue qu'il soit possible de compléter les préparations comme prévu, et à condition que les autres États membres participants ratifient les Règlements, le "Paquet du Brevet Unitaire" pourrait entrer en vigueur en 2016-2017.