La récente crise financière et le taux d'intérêt faible sur les livrets d'épargne ont de plus en plus pour conséquence que les investisseurs ont recours aux investissements directs ou indirects en biens meubles et immeubles, tels que les objets d'art, les matières premières ou les immeubles. Les offreurs de tels produits d'investissement négligent souvent que l'offre de tels produits d'investissement est soumise à une réglementation financière stricte qui vise à assurer la protection du consommateur financier, en particulier aux dispositions applicables de la loi prospectus.
L'article 4, §1, 3°bis de la loi prospectus a inséré une nouvelle catégorie d'instruments de placement, c'est-à-dire les investissements alternatifs en biens meubles et exploitations agricoles. Cette disposition est entrée en vigueur au premier novembre 2014. La FSMA a publié le 13 novembre 2014 une communication adressée aux entreprises qui commercialisent des produits d'investissement en biens meubles et immeubles (la "Communication"). Elle y attire l'attention sur le cadre juridique susceptible de s'appliquer, entre autres, aux offres proposant des investissements dans l'immobilier. Cette réglementation est primordiale pour ceux qui souhaitent proposer des investissements dans l'immobilier au grand public, par exemple sous la forme de chambres d'hôtel, de maisons de vacances ou de logements à assistance, puisqu'elle impose de nombreuses limitations et conditions dont le non-respect est passible, entre autres, de sanctions pénales, d'amendes administratives, voire même entraine la nullité des souscriptions des produits d'investissements alternatifs.
La FSMA appelle des produits d'investissement alternatifs les "produits qui sont proposés au public à titre de placement, qui portent directement ou indirectement sur des biens meubles ou immeubles et qui ne se présentent pas sous la forme d'un produit d'investissement classique dont la réglementation financière prévoit une définition clairement circonscrite". Les offres de ces produits d'investissements alternatifs peuvent en premier lieu être qualifiées d' "instrument de placement" au sens de la loi prospectus (Loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d'instruments de placement et aux admissions d'instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés). Il peut également s'agir d'une offre d'un "produit financier" au sens de l'Arrêté Royal Transversal (arrêté royal du 25 avril 2014 imposant certaines obligations en matière d'information lors de la commercialisation de produits financiers auprès des clients de détail) ou de "services financiers" auxquels les dispositions du Code de droit économique s'appliquent.
Les biens immeubles comme "instrument de placement" au sens de la loi prospectus
Qualification comme instrument de placement
L'article 4, §1, 3° de la loi prospectus, qui vise les investissements alternatifs effectués dans l'immobilier, précise que les droits suivants doivent être qualifiés d' "instrument de placement" au sens de la loi prospectus: "les droits portant directement ou indirectement sur des biens meubles ou immeubles, organisés en association, indivision ou groupement, de droit ou de fait, ne conférant pas aux titulaires de ces droits la jouissance privative de ces biens dont la gestion, organisée collectivement, est confiée à une ou plusieurs personnes agissant à titre professionnel".
Un investissement dans l'immobilier doit par conséquent répondre cumulativement à quatre conditions constitutives afin d'être qualifiés d'instrument de placement": (i) se rapporter à des droits portant sur des biens immeubles, (ii) être organisé en association, indivision ou groupement, de droit ou de fait, (iii) un abandon de la jouissance privative de ces biens immobiliers, et (iv) être géré collectivement par un ou plusieurs professionnels.
Le premier et quatrième élément constitutif sont clairs et ne nécessitent pas plus de commentaires. La Communication apporte principalement des précisions quant à l'interprétation sur la deuxième et troisième condition.
D'après la deuxième condition, l'investissement doit être organisé dans une association, une indivision ou un groupement, de droit ou de fait. La FSMA précise dans sa Communication que cette disposition ne vise non seulement les cas dans lesquels les droits portant sur des biens immeubles sont logés au sein d'une société, association ou indivision de droit, mais également les cas dans lesquels des biens individuels font l'objet d'un groupement de fait. À cet égard, on songe par exemple aux maisons de vacances ou aux bungalows qui appartiennent chacun à des propriétaires distincts, mais qui sont situés dans un même domaine sans former une entité juridique (ce qui peut être le cas d'un groupe de logements à assistance).
La troisième condition requiert l'abandon de la jouissance privative. La FSMA précise que la notion de jouissance privative ne vise non seulement la jouissance physique (l'utilisation ou l'occupation desdits biens immeubles), mais aussi la jouissance privative économique, c'est-à-dire la perception du rendement individuel du bien immeuble. La notion doit en effet, selon la Communication, être interprétée en gardant à l'esprit le ratio legis de l'article 4, § 1ier, 3°, de la loi prospectus, dont le but est de protéger le consommateur financier contre les investissements alternatifs qui répondent aux principales caractéristiques des placements dans des sociétés.
Tant que l'investisseur n'a pas abandonné la jouissance privative économique (le rendement individuel) du bien immeuble concerné, le produit ne sera pas qualifié d'instrument de placement au sens de la loi prospectus. À l'inverse, si l'investisseur a abandonné la totalité de la jouissance privative économique (et physique), et qu'il est en d'autres termes question d'un rendement collectif ("pooling"), le produit sera qualifié d'instrument de placement au sens de la loi prospectus (sous réserve du respect des autres conditions). C'est le cas par exemple lorsqu'un investisseur achète une chambre d'hôtel, une chambre d'étudiant ou un bungalow sans pouvoir y séjourner lui-même (sauf aux mêmes conditions que les hôtes, habitants ou les vacanciers), et qu'il perçoit une partie des revenus locatifs mis en commun ("pooled") avec les revenus locatifs des autres chambres ou du parc.
Il est moins facile de qualifier la situation dans laquelle un investisseur abandonne la jouissance privative économique sans toutefois abandonner totalement et irrévocablement la jouissance privative physique. C'est le cas par exemple lorsque l'investisseur a la possibilité d'occuper temporairement sa chambre individuelle ou son bungalow ou lorsqu'il a le choix, au moment de l'achat, de choisir entre la location intégrale de sa propriété individuelle par un tiers et l'occupation ou location (le cas échéant partielle ou temporaire) de celle-ci par lui-même. La FSMA estime que de tels investissements immobiliers alternatifs ne sont pas couverts par la notion d'instruments de placement, sauf si la jouissance privative physique n'est pas réelle, ce qui s'apprécie toujours in concreto. Cette appréciation concrète tient non seulement compte de l'intention de l'offreur, mais vérifie également si la jouissance privative physique n'est en réalité pas vidée de sa substance et examine la manière dont l'offreur a présenté son produit. La manière dont est présenté un investissement dans les dépliants publicitaires et dans d'autres formes de publicité, constitue une indication importante à cet égard. Bien que la communication tente de fournir des lignes directrices, c'est la pratique qui déterminera comment cette condition est réellement remplie.
Conséquences d'une qualification comme instrument de placement au sens de la loi prospectus
Les conséquences d'une qualification comme instrument de placement au sens de la loi prospectus sont importantes.
Toute offre publique d'instruments de placement effectuée sur le territoire belge requiert en effet la publication d'un prospectus. Une offre est publique lorsqu'il s'agit d' "une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre et sur les instruments de placement à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d'acheter ou de souscrire ces instruments de placement, et qui est faite par la personne qui est en mesure d'émettre ou de céder les instruments de placement ou pour son compte". Si le produit d'investissement immobilier est effectivement qualifié d'instrument de placement et qu'il est en outre question d'une offre publique sur le territoire belge, l'offreur proposant ce produit d'investissement alternatif aura l'obligation de publier un prospectus soumis à des conditions strictes et approuvé par la FSMA, ce qui implique de nombreuses charges administratives et des frais importants. Les exemptions habituelles valant pour les offres privées (les soi-disant "private placement safe harbours") figurant à l'article 3, §2 de la loi prospectus s'appliquent également.
La plupart des investissements immobiliers pourront sans doute recourir utilement aux points c) et d) de l'article 3, §2. Les offres d'instruments de placement dont la contrepartie est d'au moins 100.000 euros par investisseur et par offre distincte ou d'instruments de placements qui ont une valeur nominale unitaire d'au moins 100.000 euros ne sont pas des offres publiques et ne sont donc pas soumises à l'obligation de publier un prospectus. La valeur des instruments de placement immobiliers dépassera dans la plupart des cas ces montants. On ne peut toutefois exclure que certains investissements, par exemple dans des logements d'étudiant, n'atteignent pas ces seuils d'exemption et que l'offreur devra donc, à moins de pouvoir se prévaloir d'une autre exemption, publier un prospectus.
En outre, les communications à caractère promotionnel et les autres documents et avis se rapportant à une offre soumise à l'obligation de publier un prospectus doivent également répondre à certaines exigences en termes de contenu et être soumis préalablement à l'approbation de la FSMA (articles 58 et suivants de la loi prospectus).
Enfin, la qualification comme instrument de placement conduit également à l'application des règles relatives au monopole d'intermédiation (article 55 et 56 de la loi prospectus). L'intermédiation des offres publiques d'instruments de placement (émis par une autre entité) est réservée à un nombre limité d'établissements (énumérés de manière exhaustive dans la loi prospectus), tels que les établissements de crédit et les entreprises d'investissement. Cela implique concrètement que les agents immobiliers agréés et les intermédiaires d'assurances ne sont pas autorisés à pratiquer l'intermédiation dans le cadre d'une offre d'instruments de placement immobiliers. Ce monopole d'intermédiation s'applique par ailleurs également à certaines offres qui ne revêtent pas un caractère public, à savoir les offres d'instruments de placement alternatifs dont la valeur nominale unitaire s'élève à au moins 100.000 euros ou qui requièrent une contrepartie d'au moins 100.000 euros par investisseur (qui ne sont donc pas soumises à l'obligation de publier un prospectus). Les agents immobiliers ne seront donc pas non plus autorisés à pratiquer l'intermédiation dans ces cas.
Les biens immobiliers comme "produit d'investissement" au sens de l'Arrêté Royal Transversal
L'Arrêté Royal du 25 avril 2014 imposant certaines obligations en matière d'information lors de la commercialisation de produits financiers auprès des clients de détail, mieux connu sous le nom de l'Arrêté Royal Transversal, contient, entre autres, des règles relatives au contenu des publicités et des autres documents et avis qui sont diffusés lors de la commercialisation de produits financiers, tels que visés par la loi prospectus, auprès des clients de détail. Ces règles s'appliquent indépendamment du caractère public de l'offre. L'on ne peut ainsi vanter les avantages potentiels du produit financier / de l'instrument de placement sans indiquer aussi, correctement et de façon bien visible et équilibrée, les risques, limites ou conditions applicables à ce produit. Ces risques, limites ou conditions doivent être mentionnés de manière lisible et dans une taille de police de caractères au moins identique à celle utilisée pour la présentation des avantages.
L'application de cet AR, qui entrera en vigueur au 12 juin 2015, implique en particulier que l'offreur devra mentionner un label de risque dans toute publicité relative à ses instruments de placement. Ce label de risque, similaire au label énergie européen existant pour entre autres les frigos et réfrigérateurs, variera de la classe de risque A (risque faible) à la classe de risque E (risque élevé). Les produits d'investissement alternatifs (à l'instar des actions) feront partie de la deuxième classe la plus élevée, ce qui correspond à la classe de risque D.
Les biens immeubles comme "service financier" au sens du Livre VI du Code de droit économique
Enfin, les dispositions du livre VI "Pratiques du marché et protection du consommateur" du Code de droit économique, qui visent à assurer la protection des consommateurs lorsque des entreprises leur offrent des produits et services, s'appliqueront aux offres d'instruments de placement au sens de la loi prospectus.
Il s'agit notamment des dispositions relatives à la publicité comparative, aux contrats à distance, aux contrats hors établissement et aux clauses abusives.
Un jeu équilibre difficile
La qualification comme instrument de placement implique le respect de plusieurs obligations imposées par le droit financier dont les offreurs n'ont souvent pas assez ou pas du tout connaissance. Le non-respect de ces règles peut, selon les cas, être passible de sanctions pénales et/ou civiles et peut également donner lieu à des amendes administratives infligées par la FSMA, voire même à la nullité de la souscription des instruments de placement en question.
Cette Communication est peut-être une première indication d'une vigilance accrue de la FSMA dans le cadre des offres d'investissements immobiliers.