Modifications apportées par la nouvelle directive relative aux états financiers annuels 2013/34/EU: le régime des PME en passe d'être modifié

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15 septembre 2015

Le délai de transposition accordé au législateur pour la transposition en droit belge de la directive 2013/34/EU du 26 juin 2013 (la "Directive Comptable") en droit belge a expiré le 20 juillet 2015. En vue de cette transposition, le Conseil des ministres a approuvé, le 19 juin, un avant-projet de loi et un projet d'arrêté royal, mais ces projets sont actuellement en attente de l'avis du Conseil d'Etat. On s'attend à ce qu'un nombre plus important de sociétés seront considérées comme des PME dès que le nouveau régime légal entrera en vigueur. Cela aura des conséquences importantes, tant en droit des sociétés qu'en droit fiscal.

Contexte

La Directive Comptable, qui remplacera la Quatrième et la Septième Directive, et formera ainsi la nouvelle base légale applicable aux états financiers annuels, fait partie de la stratégie "Europe 2020". Cette stratégie a, entre autres, pour objectif d'améliorer le climat entrepreneurial des PME ainsi que de promouvoir l'internationalisation des PME. Afin de mettre en œuvre ces objectifs, la Directive Comptable met l'accent sur le principe "Think Small First". Ce principe devrait mener à un allègement des charges administratives ainsi qu'à une simplification de l'obligation de faire rapport sur les états financiers, et plus particulièrement dans le chef des PME. L'idée sous-jacente de ce principe est que les charges administratives qui pèsent sur les entreprises doivent être proportionnées à leur dimension.

Etant donné le fait que l'avant-projet de loi et le projet d'arrêté royal sont, à l'heure actuelle, soumis à l'avis du Conseil d'état, il est encore impossible de savoir comment la Directive sera concrètement transposée. Nous pouvons toutefois déjà nous faire une idée des principales modifications sur base de la Directive Comptable, des propositions de réforme faites par la Commission des Normes Comptable ("CNC") ainsi que de l'avis émis par le Conseil Central de l'Economie ("CCE").

Rehaussement des seuils des "petites sociétés"

Un premier grand changement, en droit des sociétés, concerne la modification de l'article 15, §1 du Code des sociétés ("C.soc."). L'article 15 C.soc prévoit, dans sa version actuelle, que chaque société qui dépasse au moins deux des seuils suivants est qualifiée de "grande société" et ne peut dès lors pas être qualifiée de PME: (i) 50 travailleurs occupés, (ii) 7,3 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, et (iii) 3,65 millions d'euros au total du bilan. De plus, une société occupant plus de 100 travailleurs ne peut, actuellement, pas être qualifiée de PME et ce, même si son chiffre d'affaires annuel et le montant total de son bilan sont inférieurs aux seuils définis.

La Directive Comptable élève les seuils définis par l'article 15 C.soc. Le seuil relatif au chiffre d'affaires annuel passe à 8 millions d'euros, tandis que celui relatif au montant total du bilan passe à 4 millions d'euros. Le législateur européen offre par ailleurs la possibilité aux Etats Membres d'élever ces seuils, de manière encore plus significative, jusque 12 millions d'euros pour le chiffre d'affaires annuel et 6 millions d'euros pour le montant total du bilan.

Le CCE propose que les mesures de transposition de la directive rehaussent les seuils belges à 9 millions d'euros pour le chiffre d'affaires annuel et à 4,5 millions d'euros pour le montant total du bilan.

Le seuil relatif au nombre de travailleurs occupés (50) restera inchangé. Cependant, l'exclusion de la qualification de PME des sociétés occupant plus de 100 travailleurs n'est pas conforme à la directive et devra être supprimée à l'article 15 C.soc.

Suppression du calcul des seuils sur base consolidée pour les sociétés liées

Une deuxième modification importante introduite par la Directive Comptable consiste en la suppression du calcul des seuils sur base consolidée pour les sociétés liées. Cette suppression sera effective à moins que les sociétés en question soient des sociétés mères ou que les sociétés liées aient été constituées dans l'unique but d'échapper à certaines obligations de rapport incombant aux grandes sociétés.

Il ne faut pas sous-estimer l'impact de cette disposition. Sous le régime actuel, une société liée ne peut être qualifiée de petite société que lorsqu'elle satisfait, sur base consolidée, aux conditions de l'article 15, § 1 C.soc. Après la transposition de la Directive Comptable, toutes les sociétés qui répondront individuellement aux conditions prévues par l'article 15 C.soc seront qualifiées de PME, ce qui augmentera, sans aucun doute, le nombre de PME.

Il faut s'attendre à ce que le législateur (fiscal) intervienne sur ce point afin d'éviter que les sociétés liées qui appartiennent à un groupe dont le pouvoir économique dépasse celui d'une PME, puisse néanmoins bénéficier du statut fiscal favorable de PME.

De "petit groupe" vers "groupe de taille limitée"

En vertu de la réglementation actuelle, une société ne doit établir ni d'état financier annuel consolidé, ni de rapport annuel consolidé lorsqu'elle fait partie d'un "petit groupe". Un groupe est, actuellement, considéré comme étant "petit" s'il ne dépasse pas plus d'un des seuils définis à l'article 16 C.soc: (i) 250 travailleurs occupés, (ii) 29,2 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, et (iii) 14,6 millions d'euros au total du bilan.

La Directive Comptable baisse les seuils pour les petits groupes à: (i) 50 travailleurs occupés, (ii) un chiffre d'affaires annuel de 8 millions d'euros (max. 12 millions d'euros), et (iii) un montant total du bilan de 4 millions d'euros (max. 6 millions d'euros). Le CCE propose dès lors que les mesures de transpositions de la directive de retirer suppriment le concept de "petit groupe" de l'article 16 C.soc et de le remplacer par le concept de "groupe de taille limitée".

Le CCE propose de fixer les seuils relatifs aux "groupes de taille limitée" à (i) 250 travailleurs, (ii) 34 millions de chiffre d'affaires annuel, et (iii) 17 millions d'euros de montant total du bilan.

Introduction de la catégorie des "micro-sociétés"

La directive offre la possibilité aux Etats membres d'introduire une catégorie additionnelle de petites sociétés. Cette catégorie des "micro-sociétés" pourrait constituer une sous-catégorie des petites sociétés. Les micro-sociétés sont des sociétés qui, à la date de clôture des comptes, n'excèdent pas au moins deux des trois seuils suivants: (i) un total du bilan de 350.000 euro, (ii) un chiffre d'affaires net de 700.000 euro, et (iii) un nombre de travailleurs occupés, en moyenne annuelle, de 10 travailleurs.

Les micro-sociétés doivent, à l'instar des petites sociétés, établir des comptes annuels, composés d'un bilan et d'un compte de résultat, mais dont l'annexe sera plus restreinte. De plus, les micro-sociétés et les petites sociétés ne devront plus établir de bilan social. Le CCE a cependant précisé que les filiales faisant partie d'un groupe de sociétés seront exclues de la catégorie des micro-sociétés.

Conséquences en droit des sociétés

Le statut de PME est un facteur de rattachement important pour l'application de divers régimes d'exception en droit des sociétés. Ainsi, les PME peuvent établir des comptes annuels selon un schéma abrégé (art. 93. C.soc), ne doivent pas établir de rapport de gestion (art. 94 C.soc) et n'ont pas l'obligation de nommer un commissaire (art. 141, 2° C.soc).

Suite à ces changements législatifs, il ne fait aucun doute qu'un plus grand nombre de sociétés répondra à la définition de PME. Si le législateur n'intervient pas, plus de sociétés pourront donc bénéficier de ses exceptions.

Conséquences en droit fiscal

La transposition de la Directive Comptable aura également des conséquences en droit fiscal. Les avantages fiscaux que le législateur belge accorde aux PME sont en effet basés sur la définition énoncée à l'article 15 C.soc. Les PME bénéficient, entre autres, d'une plus grande flexibilité en ce qui concerne les amortissements, une déductibilité pour capital à risque plus importante, une exemption de la taxe de 0.412% pour les plus-values sur actions et une exemption de la fairness tax. La définition de PME a en outre des conséquences pour la fiscalité de l'actionnariat. Ainsi, seules les PME peuvent constituer une réserve de liquidation (voir Eubelius Spotlights juin 2015) et le régime VVPR-bis ne s'applique qu'aux apports en PME.

Il ne fait aucun doute que le nombre de PME augmentera fortement suite à la modification de l'article 15 C.soc, tant en raison de l'augmentation des seuils qu'en raison de la suppression de consolidation. Cela ne signifie pour autant pas que les avantages fiscaux précités s'appliqueront pleinement à ces "nouvelles" PME. Les avantages fiscaux ne devraient pas être étendus aux sociétés qui, sur base consolidée, ne répondent pas à la définition de PME, mais qui échapperont à l'obligation de consolider sous la nouvelle réglementation.

Conclusion

Bien qu'elle soit tardive, la transposition de la Directive Comptable en droit belge est désormais imminente. Il est pour l'instant difficile de prévoir ce que la transposition apportera concrètement, mais les principales modifications sont plus ou moins prévisibles: le nombre de PME augmentera et les charges administratives qui pèsent sur les PME, actuelles et futures, diminueront. Le législateur (fiscal) semble vouloir maintenir une neutralité fiscale dans la modification de la définition des PME. Les mesures fiscales avantageuses liées au statut de PME ne seront pas intégralement étendues à toutes les "nouvelles" PME.