Rémunérations en nature d’administrateurs : la prudence reste de mise, même « avec » un ruling !

Legal Eubdate
12 mai 2022

Dans un jugement du 6 avril 2022, le tribunal de première instance d’Anvers a rappelé à une société de médecins quelle est la portée de la protection d’un ruling. Ce jugement souligne par ailleurs l’importance d’une politique de rémunération qui soit démontrable afin de satisfaire aux conditions de déductibilité de l’article 49 CIR92 lorsqu’une société entend rémunérer son administrateur via des avantages de toute nature.

Contexte

La société P est spécialisée dans l’optimisation des rémunérations de dirigeants d’entreprise. À ce titre, elle propose comme produit une solution de rémunération via l’octroi d’options sur actions, cotées en bourse en Belgique ou à l’étranger (loi du 26 mars 1999). La société P a obtenu des décisions anticipées qui confirment différents aspects du traitement fiscal du produit qu’elle propose. Ces décisions ne sont rendues qu’à la société P et pas expressément aux sociétés-clientes mettant en place ce produit.

Le ruling porte sur le contexte factuel suivant : Une société-cliente X émet des options sur actions et les offre à son administrateur en rémunération de son activité au sein de la société. Si l’administrateur accepte l’offre d’options, il peut les exercer ou les céder à tout acquéreur intéressé dès le premier anniversaire de l’offre. Cette cession n’est toutefois possible que si l’acquéreur accepte de conclure une convention avec la société X permettant à cette dernière de racheter les options à l’acquéreur. Une fois les options rachetées, la société X les annulera immédiatement (de sorte que le prix d’achat devient un coût pour la société X).

Dans ce contexte, les décisions anticipées confirment que le prix payé par la société X à l’acquéreur sera déductible en vertu de l’article 49 du CIR92 et ce en partant du principe que les options sont offertes au dirigeant en rémunération de son activité au sein de la société. En effet, la théorie de la rémunération (telle que confirmée par la Cour de cassation) exige que ces frais soient exposés en vue de rémunérer des prestations de l’administrateur au profit de la société X et qu’elle puisse en apporter la preuve. À défaut, ces frais ne sont pas déductibles.

Remise en cause d’une structure couverte par le ruling ?

Dans le cas soumis au tribunal de première instance d’Anvers, le fisc rejette précisément la déduction des frais exposés par une telle société-cliente (une société de médecins) lors du rachat des options à l’acquéreur. Sur base de l’article 49 CIR92, le fisc estime qu’il n’est pas démontré que ces frais ont été exposés afin de rémunérer les prestations effectivement fournies par l’administrateur au bénéfice de la société de médecins. Cette dernière conteste la rectification et invoque divers arguments.

Position du tribunal d’Anvers

Tout d’abord, le tribunal écarte l’argument selon lequel les décisions anticipées ont été violées par le fisc. D’une part, il relève que celles-ci ont été délivrées à la société P et non pas à la société de médecins. Elles ne concernent donc pas expressément celle-ci. D’autre part, le juge constate que ces décisions confirment la déductibilité sous l’article 49 CIR92 en partant du principe que les options sur actions sont octroyées en tant que rémunérations pour des prestations fournies par l’administrateur. La déduction n’est donc pas confirmée de façon absolue mais seulement lorsque les conditions de l’article 49 CIR92 sont satisfaites dans chaque cas concret.

S’agissant justement des paiements dans le cadre de l’attribution d’avantages de toute nature, le tribunal souligne que les conditions de déductibilité de l’article 49 CIR92 doivent être respectées. À cet égard, le tribunal constate que la société de médecins ne soumet aucune pièce d’où il ressortirait que, à côté des rémunérations périodiques (déjà attribuées tant en espèces qu’en nature), les options sur actions ont été accordées conformément à une politique de rémunération de l’administrateur de ladite société. L’établissement de fiches de rémunération et le fait que l’administrateur soit imposé sur un tel avantage en nature ne constituent en soi pas la preuve nécessaire selon le juge. Dès lors que l’objectif d’octroyer une rémunération (additionnelle) pour les prestations fournies n’est pas démontré, le prix de rachat payé par la société n’est pas déductible.

Conclusion

Ce jugement permet de procéder à deux rappels importants pour la pratique:

  • Sauf dans certains cas, un ruling obtenu par un tiers n’est en principe pas si simplement invocable par un autre contribuable. De plus, il faut toujours vérifier ce qui est effectivement couvert par le ruling et ce qui ne l’est pas. En l’espèce, la question de savoir si les options étaient octroyées en tant que rémunérations pour des prestations fournies par le dirigeant exigeait une analyse factuelle du cas concret et une réponse positive n’était pas simplement présumable. De manière générale, il faut veiller à ne pas surévaluer la protection qu’offre une décision anticipée et à bien déterminer jusqu’où cette protection s’étend.
  • Chaque forme de rémunérations en nature (telle qu’une voiture de société, une habitation mise à disposition mais aussi les options sur actions) exige, selon la Cour de Cassation, que le contribuable puisse démontrer qu’elle est octroyée afin de rémunérer des prestations effectives du dirigeant d’entreprise. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’une rémunération supplémentaire est soudainement accordée en plus de la rémunération existante en espèces et/ou en nature. Une telle preuve nécessite une organisation cohérente ainsi qu’une documentation adéquate, rédigée in tempore non suspecto. Sans ces éléments, il ne peut pas être exclu que le fisc remette en cause la déductibilité.