Afin de respecter le principe ne bis in idem, le législateur belge a à nouveau tenté de coordonner in fiscalibus les mécanismes de mise en œuvre pénale et administrative. Même si de telles initiatives sont nécessaires à la lumière de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'homme, leur transposition pratique par la législation nouvelle soulève, malheureusement, de sérieuses objections tant conceptuelles que pratiques.
Le principe ne bis in idem empêche qu'une personne ne soit jugée ou condamnée deux fois pour les mêmes faits. En 2012, le législateur avait déjà tenté de s'y conformer en introduisant le principe Una Via dans la législation belge par la loi du 20 septembre 2012 (Loi Una Via). Le principe Una Via encourage les autorités à faire un choix entre le traitement pénal et le traitement administratif en cas d'infractions (fiscales). Cependant, la Cour constitutionnelle a partiellement annulé cette Loi Una Via parce qu'elle n'allait pas assez loin en matière de protection contre la double punition.
En outre, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a précisé dans sa jurisprudence récente que le principe ne bis in idem ne s'oppose pas aux procédures pénales et administratives parallèles dans la mesure où elles font partie d'un « ensemble cohérent ». Les deux procédures forment un « ensemble cohérent » si (i) les deux procédures font partie d'un système intégré, (ii) par lequel les différents aspects de l'inconduite sociale, (iii) sont sanctionnés d'une manière prévisible et (iv) proportionnée (CEDH 15 novembre 2016, A&B c. Norvège). La Cour de justice a également rendu récemment plusieurs arrêts pertinents dans lesquels le principe ne bis in idem se voit accorder une portée et une possibilité de limitation similaire.
Suite à ces développements, le législateur belge s'est à nouveau efforcé de mieux coordonner in fiscalibus les mécanismes de mise en œuvre pénale et administrative par le biais d'une intégration de grande envergure. Cela a été fait au moyen de la loi du 5 mai 2019 portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social (ci-après la "Loi"). Les lignes directrices de la Loi, qui soulève malheureusement plus de questions qu'elle n'apporte de solutions réalisables, sont décrites ci-dessous.
Concertation et accès
Formalisation supplémentaire et intégration dans le Code de procédure pénale
L'administration fiscale était déjà en mesure de signaler les infractions fiscales au Procureur du Roi avant l'adoption de la Loi. Les fonctionnaires du fisc avaient besoin de l'autorisation du conseiller général compétent à cet effet. En outre, des concertations Una Via pouvaient avoir lieu entre le conseiller général ou le fonctionnaire fiscal désigné à cet effet et le procureur du Roi sur des dossiers concrets.
Le législateur a formalisé davantage cette concertation.
La notification des infractions fiscales par les fonctionnaires du fisc au Procureur du Roi reste soumise à l'autorisation préalable du conseiller général compétent. Toutefois, cette disposition est étendue aux fonctionnaires compétents des administrations fiscales régionales ou locales, de sorte qu'ils doivent eux aussi obtenir une autorisation préalable de leur hiérarchie compétente (article 29 §2 du C.I.cr.).
En outre, la consultation (facultative) Una Via entre le conseiller général compétent ou le fonctionnaire désigné par lui/elle et le Procureur du Roi, prévue à l'ancien article 29 §3 du C.I.cr., est profondément réformée et complétée. Ainsi, le nouvel article 29 §3 du C.I.cr. impose une obligation de notification au conseiller général compétent (ou au fonctionnaire désigné par lui), ainsi qu'aux fonctionnaires en charge des impôts régionaux ou locaux. Dès que l'enquête fiscale révèle des indices de fraude fiscale grave, organisée ou non, ils seront tenus d'en informer le Procureur du Roi à partir de l'entrée en vigueur de la Loi. L'enquête fiscale n'a pas à être terminée à ce moment-là. L'objectif du législateur est de permettre à l'administration fiscale de lutter elle-même contre la simple fraude fiscale.
Dans un délai d'un mois à compter de la réception d'une telle notification de soupçon de fraude fiscale grave, le Procureur du Roi se concerte avec les fonctionnaires compétents. Les services de police compétents peuvent être invités à ces concertations. Dans un délai de trois mois à compter de la notification, le Procureur du Roi décide pour quels faits (décrits en termes de temps et d'espace) il exercera (ou non) l'action pénale. Toutefois, aucune sanction explicite d'irrecevabilité de la procédure pénale n'a été introduite si ce délai est dépassé.
La nouvelle obligation de notification de la part des fonctionnaires fiscaux compétents semble être réservée aux cas de fraude fiscale grave.
Une lecture stricte de la Loi semble indiquer que les fonctionnaires fiscaux ne peuvent plus signaler au Procureur du Roi les cas de fraude fiscale « simple » (sauf autorisation du conseiller général compétent) et que, en principe, une concertation Una Via n'est plus possible non plus pour les cas de fraude fiscale simple.
En outre, deux fois par an, le procureur général chargé de la criminalité économique, financière et fiscale, les autorités fiscales et la police fédérale tiennent des concertations stratégiques sur les mécanismes de la fraude fiscale grave ou organisée.
Notion de « fraude fiscale grave »
La Cour constitutionnelle a déjà jugé que le concept de « fraude fiscale grave » en lui-même est suffisant et ne nécessite aucune clarification supplémentaire.
Toutefois, via la Loi, le législateur autorise le Roi à déterminer par arrêté royal ce qui distingue la fraude fiscale grave de la fraude fiscale simple. Les travaux préparatoires donnent déjà un aperçu de la portée du concept. Sont visées: les infractions caractérisées par leur nature grave et organisée, les infractions pour lesquelles il existe de sérieuses indications qu'elles sont liées à des infractions de droit commun ayant une composante financière, économique, fiscale ou sociale grave ou des éléments graves de corruption, les infractions pour lesquelles les mesures d'information contiennent une mesure coercitive, ainsi que les infractions pour lesquelles il existe des indications graves qu'elles servent à financer un groupe ou une organisation criminelle terroristes. Une définition aussi large peut, dans la pratique, conduire à classer un très grand nombre de faits comme graves. En outre, il n'est pas clair comment les mesures coercitives que comporte l'enquête seront et pourront être prises en compte dans cette qualification, car cela impliquerait que la partie poursuivante peut, de sa propre initiative, déterminer la gravité et donc la qualification. Après tout, si le Procureur devait estimer dans une affaire de fraude fiscale non grave que, entre autres choses, des perquisitions étaient nécessaires, les travaux préparatoires semblent indiquer qu'il s'agirait alors d'un cas de fraude fiscale grave.
Obligation de notification du Procureur du Roi au Ministre des finances
Une obligation de notification du Procureur du Roi vis-à-vis du ministre des Finances est également reprise dans le Code d'instruction criminelle. Le Procureur du Roi est tenu d'informer le ministre des Finances ou le service désigné par le ministre (CAF – Service de coordination anti-fraude) si une enquête pénale révèle des indices de fraude fiscale concernant les impôts directs ou indirects (article 29bis du C.I.cr.). En outre, l'accès au dossier pénal en cours et à une copie de celui-ci doit être accordé, à moins que cela ne mette en danger l'enquête pénale. La question peut être posée de savoir si le Procureur du Roi peut renoncer à son obligation de notification si une notification risque de compromettre l'enquête pénale ou si son obligation de notification reste intacte et qu'il ne peut que refuser l'accès au dossier et à une copie de celui-ci.
Ensemble cohérent en termes de temps et de contenu
S'il n'y a pas eu de concertation Una Via, tant le ministère public que l'administration fiscale peuvent engager des poursuites et sanctions. La Loi stipule explicitement que l'établissement de taxes, y compris les centimes additionnels, les décimes additionnels, les accroissements d'impôt, les amendes administratives et fiscales, n'empêche pas l'engagement d'une action pénale. Pour que cela soit admissible, la procédure fiscale et pénale doit s'inscrire dans un ensemble cohérent en termes de temps et de contenu. Ce passage s'inspire dans une large mesure de l'arrêt A&C c. Norvège de la CEDH. La Loi n'apporte donc pas de solution nouvelle au problème des poursuites administratives et pénales parallèles, même si c'était précisément l'intention.
Intégration du contentieux fiscal dans la procédure pénale
Si le ministère publique décide de poursuivre des infractions fiscales, le juge pénal prendra connaissance de la demande civile de paiement des impôts, des centimes additionnels et des décimes additionnels, des accroissements d'impôt, des amendes administratives et fiscales et des accessoires des autorités fiscales (nouvel article 4bis du Titre préliminaire du C.I.cr.).
L'administration fiscale agit alors en tant que tiers intervenant avec une demande indépendante dans la procédure pénale. Si la demande de l'administration fiscale est déjà pendante devant le tribunal civil, cette demande sera abandonnée et poursuivie devant le juge pénal.
Il est notable et même effrayant que, même en cas d'acquittement des infractions fiscales par le juge pénal, ce dernier reste le juge compétent en ce qui concerne la créance fiscale (civile). Dans les litiges fiscaux complexes, le dossier est ainsi soustrait au juge qui est le mieux placé pour le juger.
En outre, le jugement définitif du tribunal pénal donnera à l'administration fiscale un titre exécutoire pour recouvrer les impôts dus, même si aucune infraction n'a été commise.
La formulation de ce règlement est très ambiguë. D'une part, la règle peut être interprétée de manière à ce que le juge pénal prenne automatiquement connaissance de la demande de l'administration fiscale, même si l'administration fiscale n'a pas engagé d'action civile devant le juge pénal. Ce transfert automatique soulève toutefois un certain nombre d'objections fondamentales, puisque le juge pénal devra alors également lui-même assumer le rôle d'inspecteur des impôts dans l'hypothèse où une cotisation fiscale n'a pas encore été établie. D'autre part, cette règle peut être interprétée en ce sens que le juge pénal ne peut statuer sur la demande civile que si l'administration fiscale décide de devenir partie civile – une possibilité qui lui a été offerte par une loi antérieure du 26 mars 2018. Si l'administration fiscale ne décide pas de devenir partie civile, le litige fiscal continuera à suivre la voie habituelle, à savoir avec d'abord une phase administrative et ensuite, si nécessaire, une phase judiciaire devant le juge fiscal civil.
Bien qu'il faille se féliciter de l'intention du législateur d'intégrer la mise en œuvre du droit fiscal et pénal in fiscalibus et de la rendre plus efficace, un certain nombre de questions essentielles doivent être posées:
- Les délais d'imposition sont-ils (partiellement) écartés ? Les délais d'imposition seront-ils pris en compte par le juge pénal lors de l'examen de la recevabilité de la demande civile de l'administration fiscale ?
- Le juge pénal possède-t-il l'expertise nécessaire pour juger des questions fiscales complexes? Pour cette raison, il est nécessaire d'ajouter aux chambres correctionnelles compétentes un juge ayant une expertise fiscale. Cependant, le problème est qu'il n'y a que 13 tribunaux de première instance qui sont compétents pour les litiges fiscaux, alors que, compte tenu des divisions des tribunaux de première instance, il y a 27 tribunaux correctionnels de sorte que l'expertise fiscale n'est pas présente partout.
- Cette intégration dans la procédure pénale entraîne-t-elle un contournement des principes fiscaux de base et des garanties procédurales ?
- Le contribuable est destitué du juge civil (naturel) par la simple décision de l'administration fiscale de se constituer partie civile. Cela est-il compatible avec l'article 13 de la Constitution qui prévoit une protection contre l'arbitraire de la part de l'exécutif ?
- Que se passe-t-il si, après une première instance perdue devant le juge fiscal, l'administration se tourne vers le juge pénal et se constitue partie civile ?
- Que se passe-t-il si l'affaire fiscale (civile) est déjà traitée en appel ou en cassation et que l'administration décide alors de saisir le juge pénal ?
- Le jugement ou le l'arrêt du juge civil a-t-il l'autorité de la chose jugée par rapport au juge pénal ?
Sanction disproportionnée : application du principe d'imputation
Amendes et accroissements d'impôt
En outre, la jurisprudence européenne récente a conduit le législateur à introduire dans plusieurs codes fiscaux le principe de la répartition, qui oblige désormais le juge pénal à prendre en compte dans la détermination de la sanction les amendes administratives et les augmentations d'impôts dues, afin que le contrevenant ne soit pas soumis à une sanction excessivement lourde. Bien qu'il s'agisse d'un objectif noble, la législation ne fournit aucune base pour l'application concrète de ce principe.
Confiscation
Ces codes fiscaux contiennent également une disposition selon laquelle la confiscation des avantages patrimoniaux tirés des infractions (article 42, 3° du C.pén.) ne s'applique pas aux avantages patrimoniaux tirés directement des infractions fiscales, aux biens et valeurs qui leur ont été substitués et aux revenus de ces avantages investis dans le cas où l'action de l'administration fiscale est déclarée fondée et a conduit au paiement effectif de « l'entièreté de cette action ».
La notion de « l'entièreté de cette action » est interprétée de deux manières dans les travaux préparatoires: elle peut englober soit l'impôt principal, soit l'impôt et les amendes et/ou les accroissements d'impôt. Tout d'abord, il n'est pas clair comment la condition précitée peut être remplie dans la pratique, puisque désormais le juge pénal traite généralement d'abord les aspects pénaux, puis civils de l'affaire. Le juge pénal devra donc toujours reporter la décision sur la confiscation et donner à l'accusé la possibilité d'exécuter d'abord la condamnation civile par le même juge pénal et donc payer l'impôt. Dans la mesure où cette action fiscale concerne non seulement l'impôt éludé, mais aussi les amendes fiscales et/ou les accroissements d'impôt, le contribuable paiera souvent un prix élevé afin d'échapper à cette confiscation. Il devra en effet renoncer à cette somme d'argent. Ce faisant, on peut se demander si le contribuable échappe complètement à la confiscation. En outre, lorsque le juge pénal est saisi pour des infractions fiscales et non fiscales, la confiscation peut, selon les travaux préparatoires de la Loi, encore être prononcée en ce qui concerne les avantages patrimoniaux liés aux infractions non fiscales. Dans la mesure où un contribuable est poursuivi pour fraude fiscale ainsi que, par exemple, pour la deuxième et la troisième infraction de blanchiment d'argent, le risque de confiscation de l'objet de l'une de ces infractions de blanchiment d'argent ne peut être exclu.
Entrée en vigueur
Les nouvelles dispositions entreront en vigueur à la date fixée par l'arrêté royal et au plus tard le 1er janvier 2020. L'article 4bis du Titre Préliminaire du C.I.cr. s'applique aux actions civiles intentées à compter de cette date.
Conclusion
Le législateur a sans aucun doute poursuivi un noble objectif, à savoir mieux coordonner in fiscalibus les mécanismes de mise en oeuvre pénale et administrative, en tenant compte de l'évolution de la jurisprudence au niveau européen.
Malheureusement, cet objectif a été traduit dans une loi qui soulève des objections à la fois conceptuelles et pratiques à de nombreux égards, ce qui ne renforce en rien la sécurité juridique.